Alors que la réforme des diplômes de travail social vient d'être actée, Manuel Boucher, gestionnaire de l’IRTS-IDS Normandie et professeur des universités, appelle dans cette tribune libre* à reconstruire un espace critique au service d'une formation émancipatrice.
Alors que les formations en travail social traversent une période critique, il devient urgent de prendre la parole pour interroger le contexte politico-institutionnel d’une réforme des diplômes du travail social, gradés licence, contestable et contestée, notamment par le Groupement national des hautes écoles et instituts du travail social (GNHEITS), sans garantie de sécurisation pour l’avenir de l’appareil historique de formation en travail.
Marchandisation de la formation
Nous sommes face à un tournant : le travail social, de plus en plus sommé de gérer les désordres des inégalités plutôt que de promouvoir l’égalité réelle, voit ses lieux de formation dépolitisés, ses formateurs précarisés et infantilisés (puisque les commissions pédagogiques des diplômes d’État sont présidées par des universitaires) et ses savoirs et engagements professionnels dépossédés.
Les écoles et instituts, pris en tenaille entre universitarisation et régionalisation des financements mais aussi manque de reconnaissance et abandon du soutien de l’État social, peinent à résister à la marchandisation de la formation.
Plus largement, nous vivons une dynamique de domestication des institutions de formation, sommées de se soumettre aux injonctions gestionnaires et concurrentielles d’un New public management qui asphyxie l’esprit critique, dénature les pratiques pédagogiques émancipatrices et sacrifie les valeurs fondamentales du travail social pour le lien et la transformation sociales sur l’autel de l’adaptabilité et de la performance.
Resserrement autoritaire
Ce climat s’accompagne alors d’un resserrement autoritaire du débat sur l’avenir des formations sociales et des établissements de formation. Le pluralisme des idées, la conflictualité constructive et les critiques argumentées deviennent suspects.
C’est dans ce cadre que mon exclusion à titre conservatoire du conseil d’administration de l’Unaforis [l'Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale soutient la réforme] a été prononcée, suite à mon intervention lors de l’assemblée générale du 19 juin.
J’y portais, au nom de mon engagement pour un travail social émancipateur, des critiques argumentées sur la gouvernance de l’institution et sur sa soumission croissante aux logiques technocratiques et gestionnaires.
Ces propos ont été qualifiés d'« insultants » et « véhéments », non pas pour leur contenu, mais parce qu’ils fustigeaient un déni ou une lâcheté collective.
En effet, la gouvernance actuelle de l’Unaforis, au lieu de favoriser un espace de confrontation démocratique sur les enjeux de la formation et de la recherche sur et dans le travail social, s’enfonce dans une logique de conformité silencieuse et de marginalisation de voix dissidentes, pourtant portées par des années d’engagement pour les EFTS (établissements de formation en travail social).
Ce qui se joue dépasse les tensions internes. C’est l’avenir même de la formation en travail social en tant que champ d'intégration et d’émancipation qui est menacé. Mes critiques s’inscrivent dans une démarche de lucidité et d'alerte à la hauteur de la gravité des transformations en cours dans le champ de la formation en travail social.
Confrontation féconde des idées
Mais nous ne sommes pas condamnés à la résignation. Plutôt que de nous décourager, ces épreuves nous invitent à rompre avec les logiques d’adaptation et de fragilisation des EFTS.
Nous devons réaffirmer le sens politique et émancipateur du travail social en construisant un cadre nouveau, fondé sur l’autonomie, la confrontation féconde des idées et la défense forte des EFTS qui choisissent la voie de l’intérêt commun vers un grand service public de formation en travail social.
Nous lançons donc un appel à toutes celles et ceux (responsables d’établissements, formateurs, chercheurs, étudiants, travailleurs sociaux) qui refusent la résignation à participer à la « Deuxième conférence nationale sur l’avenir de la formation en travail social » organisée le 16 octobre 2025 à Paris (rue Pouchet à l’Iresco) par le Groupement national des hautes écoles et instituts du travail social (GNHEITS).
Ensemble, reprenons la parole, reconstruisons un espace d’émancipation, d’invention pédagogique et de coopération équitable entre EFTS et universités car défendre une formation en travail social favorisant un esprit critique et constructif, c’est défendre une démocratie de combat.
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