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Tribune libre03 juillet 2025
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Diplômes de travail social : "leur réforme, nos souffrances"

Joran Le Gall, assistant de service social et ex-président de l’Anas, dénonce dans cette tribune libre* une réforme précipitée des diplômes de travail social qui nivelle par le bas les compétences et menace la qualité de l’accompagnement et la reconnaissance professionnelle.

Trente ans de revendications auront été nécessaires pour que trois années d’études dans le social soient enfin reconnues à leur juste valeur : « bac + 3 ».

Pendant des décennies, la profession a subi le déclassement d’une formation supérieure de trois ans, classée au niveau d’un BTS, nourrissant un sentiment d’humiliation pour plusieurs générations.

La reconnaissance officielle obtenue en 2018, fruit d’une mobilisation historique, devait consacrer la diversité des expertises et valoriser ces métiers.

Mais à peine acquise, la voici déjà piétinée par la réforme actuelle des diplômes de travail social de niveau licence, imposée sans concertation : compétences nivelées, spécificités effacées, savoir-faire réduit à des blocs communs interchangeables, le tout sacrifié sur l’autel de toujours plus d’économies à court terme.

Une réforme précipitée, sans bilan ni dialogue

Adoptée à la hâte par la commission professionnelle consultative (CPC) « cohésion sociale et santé » le 2 juillet 2025, cette réforme doit s’appliquer dès septembre 2026.

Elle a été lancée sans aucun bilan de l’existant, sans analyse d’impact et sans appui scientifique. Surtout, les pouvoirs publics ont ignoré la parole des professionnelles [1] engagées pour la qualité du métier, et la parole des personnes concernées n’a jamais été recherchée.

En déstructurant ainsi le champ des professions, cette réforme envoie un signal désastreux : loin d’améliorer la situation, elle ne fera que l’aggraver.

Plus encore, l’affaissement qualitatif historique du niveau des formations fait peser une menace directe sur l’arrangement de reconnaissance mutuelle franco-québécois, risquant de compromettre la mobilité et la reconnaissance internationale des diplômes du travail social.

Un secteur déjà à bout de souffle

Dans un secteur déjà exsangue, les données récentes de la Drees dressent un constat alarmant : charge de travail croissante, bureaucratisation galopante, pression institutionnelle.

Le taux de rotation explose (24,4 % en 2023 contre 19,4 % en 2018), l’absentéisme atteint 11,5 %, et une professionnelle du social sur cinq travaille sous pression. Les suicides y demeurent parmi les plus élevés de tous les secteurs (34,3 pour 100 000).

Travailler dans le social aujourd’hui expose à une sinistralité sans précédent : épuisement, maladie, et parfois l’irréparable.

Une réforme qui s’attaque à l’accessoire pour brader l’avenir

À rebours des alertes du « Livre blanc 2023 du travail social », la réforme actuelle s’attaque à l’accessoire et laisse intactes les fissures profondes du secteur.

Regrouper cinq diplômes autour de quatre blocs de compétences, dont trois identiques, ne répond à aucune attente du terrain ni aux besoins réels des personnes accompagnées.

Cette organisation permettrait – selon ses promoteurs – qu’une assistante de service social devienne éducatrice de jeunes enfants en validant un seul bloc complémentaire, réduisant l’expertise de trois ans à moins d’un an de spécialisation.

Pour y parvenir, les temps de formation sont taillés au sabre : la part de spécialisation tomberait à 25 %. Ce nivellement par le bas ne fera qu’aggraver la perte de sens et la souffrance au travail.

Miser sur une formation ambitieuse, c’est investir sur l’avenir : affaiblir la qualification aujourd’hui, c’est hypothéquer la capacité d’accompagnement et d’innovation sociale de demain.

Une réforme entre uniformisation et perte de sens

Le véritable enjeu n’est pas de faciliter un passage horizontal d’un diplôme à l’autre, mais de permettre une évolution professionnelle réelle, fondée sur la reconnaissance des compétences, la complémentarité des approches, le travail interdisciplinaire et l’autonomie.

Selon l’enquête de la Drees, plus d’un tiers du temps de travail des professionnelles est désormais absorbé par des tâches administratives, au détriment de l’accompagnement humain et de l’inventivité professionnelle.

Dans ce contexte déjà fragilisé par les restrictions budgétaires et la surcharge, la formation continue ne pourra compenser la perte d’expertise induite par la réforme.

Les personnes accompagnées, les praticiennes et les employeurs se retrouvent ainsi privés des moyens d’assurer un accompagnement de qualité : la confiance, pilier du secteur social, se délite.

Toujours plus de pertes de chances pour les personnes accompagnées

La baisse de compétences des professionnelles aura des conséquences directes pour les personnes accompagnées. Les situations rencontrées sont de plus en plus complexes : précarité, isolement, santé mentale, ruptures familiales, droits sociaux enchevêtrés.

Face à cette réalité, la perte d’expertise va accroître des impuissances majeures : sans connaissances spécialisées, ni réseau interdisciplinaire solide, il devient vite impossible d’apporter des réponses adaptées. Les personnes se retrouvent alors renvoyées de service en service, parfois jusqu’à la rupture du lien ou l’abandon.

L’évolution favorable de leur situation ne tient pourtant souvent qu’à un fil, à la capacité d’une professionnelle à mobiliser la bonne ressource, le bon réseau informel, à comprendre la singularité d’une situation, à défendre un droit dans un système devenu illisible au citoyen lambda.

Comme le rappelle un rapport d’ATD Quart Monde sur le sujet, la maltraitance institutionnelle naît précisément de ces réponses inadaptées, aggravées par la dilution des compétences et la standardisation.

La politique publique de l’accompagnement social devrait garantir le meilleur ; cette réforme organise au contraire une perte de qualité, une aggravation des inégalités et une institutionnalisation de la maltraitance.

Une mécanique de déqualification programmée

L’humiliation du déclassement, déjà vécue avec la reconnaissance tardive du « bac + 3 », se prolonge aujourd’hui dans la déqualification programmée.

Derrière la promesse d’une fausse mobilité et d’une polyvalence de façade, la réforme fait l’impasse sur l’essentiel : la reconnaissance des compétences, l’allègement de la bureaucratie, le soutien à la formation continue et un maillage interdisciplinaire solide.

Ce cynisme, qui consiste à afficher la modernisation tout en sacrifiant la qualité, s’incarne dans une mécanique de cliquet : chaque étape « crante » un peu plus l’objectif d’un diplôme unique, dans une intrigue qui s’opère au détriment des praticiennes et des personnes accompagnées.

La déqualification ne peut être la seule réponse à la crise du secteur. « Leur réforme, nos souffrances » : ce n’est pas un slogan, c’est la réalité d’un secteur que l’on effondre.

[1] L'accord est au féminin car les professionnels du social sont majoritairement des femmes.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social. Cette tribune de Joran Le Gall est un texte personnel qui n'engage pas la position de l'Anas.

JoranLE GALL
Assistant de service social et ex-président de l'Association nationale des assistants de service social (Anas)
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