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Tribune libre19 décembre 2025
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Les ARS ont échoué… voilà pourquoi et comment il faut les remplacer

En novembre, le Premier ministre a jeté un pavé dans la mare en annonçant une décentralisation vers les départements de certaines compétences médico-sociales assumées par les agences régionales de santé (ARS). À rebours des nombreux défenseurs des ARS, l'économiste Frédéric Bizard propose, dans cette tribune*, de s'orienter vers une délégation de service public encadrée par l'État.

L’annonce du Premier ministre Sébastien Lecornu, le 14 novembre dernier, de lancer un nouvel acte de décentralisation dans les champs sanitaire et médico-social – confirmée par le lancement d’une mission IGAS/IGA/IGF et la promesse d’un projet de loi début 2026 – a suscité de vives réactions politiques et sectorielles.

Onze anciens ministres de la Santé ont publié une tribune dans Le Monde le 18 novembre pour dénoncer la volonté du Premier Ministre de démembrer les agences régionales de santé (ARS) au risque de « mettre en cause la cohérence des politiques de santé et d’accès aux soins ». Pourtant, quinze ans après leur création, le bilan objectif des ARS conduit à un constat d’échec, y compris dans le médico-social.

Dans une lettre ouverte au Premier ministre du 27 novembre, les représentants des établissements et services médico-sociaux dénoncent une « rupture majeure dans l’organisation de la protection sociale […] avec le risque de vider de son sens la branche autonomie cinq ans après sa création ».

Face à l’empressement affiché du gouvernement, il est utile d’analyser la pertinence d’un nouvel acte de décentralisation vers les départements. Le cas des ARS, pierre angulaire actuelle de la gouvernance territoriale en santé et en médico-social, constitue un point de départ incontournable.

L’agencification de l’État a des limites

La France a intensifié, dans les années 2000 (LOLF en 2001, RGPP en 2007), la création d’agences et opérateurs publics autonomes, inspirée par les modèles anglo-saxons. Les objectifs étaient de dépolitiser certaines missions, d’améliorer l’efficience, la technicité et la réactivité de l’action politique.

Ce mouvement s’est accompagné d’une prolifération d’organismes (103 agences et 434 opérateurs, selon la commission d’enquête du Sénat), au point de créer un véritable millefeuille technocratique et coûteux.

Le secteur médico-social se caractérise aujourd’hui par une gouvernance peu lisible et peu efficace. Le virage domiciliaire accuse un retard important, et l’offre peine à répondre à la demande, comme en témoigne le fait que plus de 30 % des demandeurs restent sans solution.

La situation est aggravée par l’enchevêtrement des compétences entre départements et ARS, notamment en matière d’autorisations d’activité et de tarification. L’incapacité persistante de l’État à produire une loi de programmation médico-sociale, pourtant prévue par la loi, illustre l’échec de l’agencification à faire émerger un véritable État stratège.

La centralisation renforcée

Les scandales de maltraitance survenus dans certains établissements soulignent cruellement ce paradoxe : une régulation étatique renforcée localement par des agences, mais faiblement protectrice de l’essentiel – le respect de la dignité humaine.

La santé, dont le budget public structurellement déficitaire représente l’essentiel du déficit de la Sécurité sociale, et dont le service rendu à la population décline, est naturellement au cœur de cette remise en cause de l’agencification de l’État.

La création des ARS en 2009 n’a manifestement pas amélioré la maîtrise budgétaire ni la performance du système. Pas vraiment indépendantes, disposant d’un coût de fonctionnement supérieur à 800 millions d'euros (M€), les ARS ont renforcé la centralisation des décisions et l’interventionnisme bureaucratique de l’État.

En réalité, le fonctionnement centralisé et stratifié de l’administration française, théorisé par Michel Crozier est peu compatible avec une délégation réelle du pouvoir. Les ARS ont ainsi peu d’autonomie ; elles sont prises dans des relations opaques avec un État central piloté par un secrétariat général dont les modes relationnels sont peu lisibles.

Ligne de fracture sur la décentralisation

Face à cet échec des ARS, si le Premier ministre a plutôt raison d’envisager a minima de les réformer, les acteurs du médico-social ont aussi raison d’alerter sur les risques d’une décentralisation mal maîtrisée.

La question centrale est éminemment politique : s’agit-il de décentraliser pleinement la compétence médico-sociale aux départements – impliquant une gouvernance, un financement et une organisation des professionnels du secteur pilotés par le conseil départemental – ou de renforcer une délégation de service public encadrée, et limitée à certaines missions clairement définies.

Ni les propos du Premier ministre aux Assises nationales des départements, ni la lettre de mission Igas ne tranchent clairement entre ces deux options, sans doute volontairement à ce stade.

D’un côté, l’hypothèse d’un transfert d’une part de CSG aux départements, plaide pour la première option ; de l’autre, la montée en puissance du service public départemental de l’autonomie (SPDA), adossée à une démocratie sociale renforcée, renvoie plutôt à une logique de délégation encadrée.

La première option représenterait un changement substantiel du modèle social français, qui se veut un et indivisible, comme la République. Notre système social est fondé sur l’universalité, l’unicité et l’indivisibilité de la solidarité nationale. Il participe au socle de la société qui fait nation, qui crée une solidarité entre tous, à tous les âges de la vie.

Un tel changement apparaîtrait d’autant plus surprenant en fin de quinquennat, sans débat démocratique préalable dans le cadre d’une campagne présidentielle, et porté par un Premier ministre qui se définit lui-même comme le plus faible de la Ve République !

La réforme systémique, seule voie crédible

La crise actuelle du système de santé comme du système médico-social dépasse largement les seules questions de gouvernance et de tuyauterie financière, aussi importantes soient-elles. Avant tout, c’est la stratégie générale de gestion des risques – sanitaire et médico-social – qui est à repenser.

Pour la santé comme pour la dépendance, le risque est géré trop tardivement, de manière fragmentée (sans logique de parcours), avec une faible capacité de personnalisation des réponses et d’implication des personnes concernées. Or, ces dimensions sont indispensables à l’efficience des systèmes sociaux.

Seule une réforme systémique sur chacun des deux risques serait à la hauteur des enjeux et pourrait générer des bénéfices tangibles pour les citoyens. Tout doit être mis en œuvre pour les réaliser en 2027.

La réforme systémique de l’Institut Santé sur le risque dépendance s’inscrit dans cette logique. Elle propose une délégation au conseil départemental de plusieurs missions :

  • Le pilotage du service public départemental de l’autonomie ;
  • La conception d’un schéma départemental des besoins et des réponses (s’appuyant sur des plateformes numérique et physique) ;
  • L’évaluation annuelle des plans d’aides.

Partenariat avec les préfectures

Le conseil départemental pourrait également être responsable des choix d’investissements publics nécessaires à la gestion de ce risque.

En revanche, le financement des prestations courantes devrait être confié exclusivement aux caisses nationales, cœur de leur mission et domaine dans lequel la décentralisation n’apporterait aucune valeur ajoutée.

De même, la stratégie générale de la branche autonomie, l’autorisation d’exercer des acteurs ou la tarification des prestations ne sauraient relever du niveau départemental sans remettre en cause le caractère universel et égalitaire du système.

Quoi qu’il en soit, toute clarification de la gouvernance impliquera une transformation de la représentation de l’État au niveau départemental. Depuis plus de deux siècles, le partenaire étatique naturel des départements est la préfecture, appelée à jouer un rôle renouvelé.

La démarche engagée par le Premier ministre en faveur d’un « État plus efficace » laisse ainsi entrevoir des systèmes de santé et d’autonomie fonctionnant sans ARS, ou avec des agences profondément transformées.

Elle suggère enfin un pilotage départemental renforcé, souhaitable et nécessaire, sans pour autant transférer aux départements la compétence pleine et entière de la gestion de ces risques.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media social.

FrédéricBIZARD, président de l'Institut Santé
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