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Tribune libre16 novembre 2022
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Et maintenant les faux services publics !

De "France travail" à "France enfance protégée", du service public de l'autonomie à celui de la petite enfance, quelle est la nature de ces nouvelles instances qui émergent les unes après les autres ? Dans cette tribune libre*, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, nous livre son analyse.

Création de France compétences, France enfance protégée, et bientôt France travail. Création du service public de l’insertion et de l’emploi, du service public de la rue au logement, et bientôt du service public de la petite enfance et du service public territorial de l’autonomie. Que signifie cette frénésie étatique ? Est-ce le retour de l’âge d’or des services publics que l’on a connu au 20e siècle ? Pas du tout.

Des agences de régulation et des instances territoriales de coordination

Derrière ces intitulés alléchants se cachent deux éléments :

  • la création d’agences nationales de régulation qui renforce le pouvoir de pilotage de l’État ;
  • la création d’instances territoriales de coordination.

Commençons par les agences de régulation.

France compétences

Le site internet de l’agence indique que "France compétences a pour mission d’assurer le financement, la régulation et l’amélioration du système de la formation professionnelle et de l’apprentissage". Cette régulation consiste notamment à vérifier que les demandes d’enregistrement de certification correspondent bien à un besoin sur le marché du travail. Sur le premier semestre 2021, le taux d’acceptation au RNCP était en baisse de 41 %. Conséquence, les établissements de formation en travail social peinent à faire enregistrer leurs certifications.

France enfance protégée

France enfance protégée a été créée par la loi Taquet. L’agence est trop récente pour qu’on puisse porter un regard sur son fonctionnement. Sa fonction de régulation du secteur de la protection de l’enfance apparaît cependant clairement dans la loi. Dans le texte, elle est présentée dans le chapitre intitulé : « mieux piloter la politique de protection de l’enfance ». Le texte précise qu’elle "contribue à l'animation, à la coordination et à la cohérence des pratiques sur l'ensemble du territoire." La gestion du fichier national des agréments des assistants familiaux qui lui est confiée signe bien sa fonction de régulation.

La Direction interministérielle à l’hébergement et au logement

Le service public de la rue au logement c’est notamment le renforcement du pouvoir de la Dihal. Elle a maintenant la responsabilité du programme 177 ainsi que celle de l’ensemble des compétences du secteur hébergement-logement. Elle prend de fait l’allure d’une agence nationale de régulation du secteur chargée de piloter la conversion à la logique du logement d’abord.

Voyons maintenant la création des instances de coordination.

Le service public de la rue au logement : le rôle renforcé du SIAO

Outre le renforcement du pouvoir de la Dihal, le service public de la rue au logement prévoit d’attribuer un rôle plus important aux services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO). L’instruction du 31 mars 2022 indique que le SIAO doit être la clé de voûte du service public de la rue au logement. Le texte indique en substance que cette instance de coordination doit booster son rôle d’évaluateur des demandes et de mise en musique des différents secteurs intervenants auprès des personnes.

Le service public territorial de l’autonomie

La création des services publics territoriaux de l'autonomie est une préconisation du rapport Libault intitulé "vers un service public territorial de l’autonomie". Comme dans le cas des SIAO, l’objectif central est l’amélioration de la coordination entre les acteurs des différents secteurs. 

Des guichets intégrés répartis sur le département pourront : informer les personnes, orienter vers les instructeurs qui conservent leurs prérogatives, mobiliser les structures d’appui aux solutions concrètes (DAC, communautés 360, CPTS), coordonner ou diffuser les actions de prévention déjà existantes sur le territoire, gérer un SI territorial commun et proposer une grille d’évaluation commune.

Le service public de l’insertion et de l’emploi et France travail

Les SPIE sont déployés dans tous les départements via des appels à manifestation d'intérêt depuis environ deux ans. Le texte de l’AMI parle de lui-même : "L’AMI porte sur la mise en œuvre d’une coordination opérationnelle entre les professionnels de l’insertion. Il ne s’agit pas de renforcer la gouvernance institutionnelle, mais de structurer et d’approfondir la coordination et le maillage des professionnels autour du parcours de la personne accompagnée." Le SPIE propose un outil d’évaluation commun, une vision globale sur l’offre locale et un référent de parcours.

France travail ne sera pas une agence nationale. L’instance est encore en cours de construction et les parties prenantes indiquent qu’il s’agit d’un service public. À l’instar des trois autres que nous venons de voir, il se concrétisera par la création d’une instance territoriale de coordination. Il est question de "mettre en cohérence le maquis complexe des coordinations".

Le service public de la petite enfance

La création d’un service public de la petite enfance avait été annoncée par Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle. Il n’est pas question de créer une instance de coordination des acteurs. Aujourd’hui, ce projet se centre sur l’augmentation des aides aux familles pour l’embauche d’une assistante maternelle.

Qu’est-ce qu'un service public ?

Au sens strict, un service public est une activité dont les enjeux sont jugés trop importants pour être soumis aux aléas du marché. Par conséquent, ce sont les pouvoirs publics qui en prennent le monopole et qui gèrent directement sa mise en œuvre en salariant des fonctionnaires. Exemple : si on veut construire des citoyens égaux, on ne peut pas confier l’école à un marché. Les plus pauvres n'auraient pas accès au même niveau d’enseignement. L’éducation est donc un service public, financé par l’impôt et mis en œuvre par des enseignants payés par l’État.

De faux services publics

L’utilisation de l’expression service public et des intitulés France X ou Y renvoie aux services publics que l’on a connus avant la logique de privatisation de l’Union européenne : Électricité de France (EDF), Gaz de France (GDF). Les créations annoncées ne sont en aucun cas des services publics au sens strict. 

Ce que l’on désigne par service public de façon tout à fait abusive, c’est l’ensemble des actions qui existent déjà dans une politique sociale, auxquelles on ajoute une agence de régulation et des instances territoriales de coordination, dans l’espoir d’atteindre l'accès universel aux droits qu’offrirait un vrai service public.

Reste à voir maintenant si l’objectif sera atteint. Comme le service public de l’éducation qui garantit un accès à l’école, le service public de la rue au logement garantira-t-il à tout citoyen un accès à un logement ? Le service public de l'emploi garantira-t-il un accès à l’emploi ? Le service public territorial de l’autonomie garantira-t-il l'accès aux droits ? Sûrement pas.

Dans quelques années, on s'apercevra peut-être qu’en lieu et place de véritables services publics, on aura créé des instances qui n’auront fait qu’ajouter de la complexité à la complexité.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Jean-LucGAUTHEROT
Ingénieur social
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