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Tribune libre02 septembre 2022
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Attractivité des métiers : du fric, de l’amour et du rêve !

Pourquoi les métiers du travail social n'attirent-ils plus ? Si la motivation professionnelle est en partie liée au salaire, d'autres facteurs entrent en compte pour atteindre un niveau de satisfaction minimal, comme l'explique Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, dans cette nouvelle chronique.

Les augmentations de salaire décidées dans le cadre du Ségur se mettent en place petit à petit. Mais on peut penser que le coup de pouce de 183 euros ne suffira pas à régler la crise. En effet, le salaire n’est qu’une des causes du phénomène de perte d’attractivité.

Les ressorts de la motivation au travail

La question qui se pose est la suivante : pourquoi les professionnels en poste ne sont-ils plus motivés par leur travail au point de vouloir en partir, et pourquoi les jeunes générations ne sont-elles pas motivées pour y entrer ? Il existe un très grand nombre de théories qui proposent une explication des ressorts de la motivation pour un travail. Voyons ici un modèle simple. Pour qu’un travail soit motivant, il faut : du fric pour l’homo economicus, de l’amour pour l’homo sociologicus et du rêve pour l’homo utopicus.

L’homo economicus

Avec les travaux de Frederick Taylor à la fin du 19e siècle, nous avons compris que l’homme au travail est un homo economicus. Sa motivation repose sur l'appât du gain matériel. Taylor avait compris l'intérêt du paiement à la pièce, le "travailler plus pour gagner plus" avant l’heure. Il y a à l’intérieur de chacun de nous un homo economicus dont la motivation au travail repose sur la qualité du salaire, des horaires, des déplacements, des avantages en nature, etc.

L’homo sociologicus

Dans la foulée de Taylor, l’école des relations humaines découvre que nous sommes aussi des homo sociologicus. La célèbre expérience de l’usine d'Hawthorne, pilotée par Elton Mayo, révèle au monde que la motivation au travail dépend aussi de la qualité des relations humaines. Les salariés ont besoin de signes de reconnaissance réguliers de la part de leur N+1 pour se sentir appréciés pour leur travail, en quelque sorte aimés.

Sans ces signes qui narcissisent, et de bonnes relations avec les collègues, la motivation chute. Cet “amour” peut également provenir de la société elle-même. Pensez aux infirmières qu’on a applaudies durant la crise sanitaire ou aux policiers qu’on a embrassés durant la période des attentats.

L’homo utopicus

Notre système motivationnel est complété par une troisième dimension. Nous sommes tous des homo utopicus. Nous avons besoin de sentir que notre travail contribue à la réalisation d’une œuvre commune, utile à la société et pas seulement à quelques-uns. C’est la question du sens au travail. Bien illustrée par l’allégorie des tailleurs de pierre qui raconte comment un tailleur qui sait que sa production va servir à la construction d’une cathédrale est bien plus heureux au travail que celui qui ne connaît pas la destination de son effort quotidien.

Au final, nous sommes des homo complexus. En effet, la dose de satisfaction minimale des trois dimensions qui garantit un niveau correct de motivation, varie en fonction des individus.

Aujourd’hui, chez de nombreux travailleurs sociaux, les trois dimensions sont insatisfaites.

Des salaires de misère

L’homo economicus ne peut se satisfaire des salaires actuels au regard des contraintes horaires du métier, de la durée des études, des risques liés à la prise en charge de personnes potentiellement violentes et du poids de la charge mentale. Aujourd’hui, bon nombre de métiers manuels auxquels on accède avec un CAP sont mieux rémunérés que ceux qui nécessitent trois ans d’études dans le travail social.

Des relations humaines tendues

L’homo sociologicus est également souvent insatisfait par la qualité des relations humaines. Dans de nombreuses organisations, les relations entre les salariés et les dirigeants sont tendues. Les logiques du new public management, la pression à la conversion au modèle inclusif, obligent les dirigeants à piloter des changements souvent créateurs de conflits. Dans les conseils départementaux, les pénuries budgétaires génèrent des crises.

Un bashing social

Il y a encore quelques années, informer autrui qu’on était travailleur social produisait des réactions de reconnaissance du type : “C’est une vocation, vous faites un métier difficile". L’homo socioclogicus était flatté. La vive critique des institutions, le scandale Orpea, les documentaires chocs sur les dysfonctionnements de la protection de l’enfance ont probablement abîmé “l’amour” de la société pour ses travailleurs sociaux. Pas très enthousiasmant pour les jeunes générations.

Une perte de sens au travail

L’homo utopicus souffre d’une perte de sens au travail. Le manque de véritables solutions durables à offrir aux usagers ne donne plus aux travailleurs sociaux le sentiment de rendre la société meilleure. Ils maintiennent tout au plus une paix sociale fragile en gérant la misère et comme l’aurait dit Erving Goffman, en “calmant le jobard”. Enfin, l’injonction à la conversion au modèle inclusif déroute les professionnels ayant exercé en institution toute leur vie. Tout à coup, la société leur dit qu’ils se trompent sur leur pratique depuis 40 ans. Il y a de quoi perdre la boussole.

La prime ne suffira pas

L’augmentation de 183 euros accordée aux travailleurs sociaux aura le mérite d’agir sur la dimension de l’homo economicus. Mais rien n’est pensé à l’échelle nationale concernant les deux autres dimensions du système motivationnel. La responsabilité de la satisfaction de l’homo sociologicus et de l’homo utopicus est renvoyée aux dirigeants de terrain.

Des marges de manœuvre

Ces derniers disposent certainement de marges de manœuvre. Pilotés par des managers talentueux, les changements imposés par la logique du new public management et la conversion au modèle inclusif, peuvent passer auprès des salariés sans générer de tensions sociales. Le sens au travail peut être rénové, si l’organisation ne se situe pas comme simple exécutante de la commande publique et si elle redéploie une action militante. Même la dimension de l’homo economicus peut faire l’objet d’actions. Certaines organisations négocient des logements à des prix abordables pour leurs salariés.

Dernièrement, on m'a rapporté l’anecdote suivante. Un collectif d’associations gestionnaires a créé une agence d’intérim territoriale pour résoudre le problème de l’attractivité. Plusieurs professionnels en CDI dans les ESSMS de ces associations ont démissionné, préférant aller travailler pour l’agence. Mieux payé, l’homo economicus est content. Plus de tension sociale à gérer au sein de l’organisation, l’homo sociologicus est heureux. Un sentiment de rendre service à la collectivité en étant celui ou celle qui sauve la continuité du fonctionnement, l’homo utopicus revit. Du fric ! De l’amour ! Du rêve !

Jean-LucGautherot
Ingénieur social
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