menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Tribune libre08 juin 2022
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Nouvelle évaluation des ESSMS : un contrôle de conformité qui ne dit pas son nom

Quelque 44 000 établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) vont devoir progressivement se familiariser avec la nouvelle procédure d'évaluation de la qualité élaborée par la Haute Autorité de santé (HAS). Dans cette tribune libre*, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, analyse la logique à l'œuvre à travers cette réforme.

En 2002, l’obligation d’évaluer la qualité des prestations des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) avait déjà fait polémique. Vingt ans plus tard, le nouveau modèle d’évaluation, élaboré par la Haute Autorité de santé (HAS) et 284 représentants du travail social, risque de faire grincer les dents. En effet, il s’agit cette fois d’un contrôle de conformité qui ne dit pas son nom.

Au départ plutôt une démarche d’amélioration continue des pratiques

Le dispositif d’évaluation des ESSMS de 2002 était un hybride entre la démarche d’amélioration continue de la qualité (Dacq) et la certification. Pas une véritable Dacq – parce qu’une pure Dacq est librement consentie – et pas vraiment une certification parce que les évaluateurs externes n’étaient pas habilités par le Comité français d’accréditation (Cofrac).

Cependant la balance penchait clairement du côté de la Dacq. Ce que confirmait une instruction ministérielle de 2013 : « Il importe [...] que les ESSMS se placent dans une perspective d’amélioration de la qualité, distincte de la recherche de l’atteinte immédiate de résultats ou de conformité à un étalon, contrairement à ce qui existe dans le champ sanitaire avec la certification délivrée par la Haute Autorité de santé ».

La balance s’inverse

Dans le nouveau dispositif, la balance penche clairement du côté de la certification. Il s’agit bien cette fois d’un contrôle de conformité à un étalon : 157 critères qui sont des normes de fonctionnement. L’ESSMS doit apporter la preuve que ses pratiques quotidiennes respectent ce modèle standard.

Le nouveau système est un quasi copier-coller du modèle des certifications des hôpitaux : copie des méthodes de recueil de données, du système d’information en ligne Calista, du site internet Scope santé pour rendre les résultats publics, et de la logique des indicateurs comme éléments de preuves.

L’accréditation des évaluateurs par le Cofrac

Les évaluateurs qui procéderont aux évaluations tous les cinq ans seront habilités par la HAS. Le décret du 28 avril 2022 exige qu’ils soient également accrédités par le Cofrac sous la norme « EN ISO/IEC 17020 Évaluation de la conformité ». Cette exigence des pouvoirs publics signe bien la volonté de faire basculer l’évaluation des ESSMS vers le contrôle de conformité.

Tout est à réapprendre

Ce changement de braquet va probablement provoquer un sentiment de lassitude chez les professionnels de terrain. En effet, bon an, mal an, la plupart des organisations avaient pris en main des référentiels spécifiques à leur ESSMS, comme « CHRS + » ou « Angélique » pour les Ehpad.

Ces référentiels sont caducs. Il faut réapprendre à utiliser le nouveau référentiel unique. Il faut également apprendre à utiliser « Synaé » pour enregistrer en ligne ses autoévaluations non obligatoires. Ce nouveau changement risque d’alimenter un sentiment légitime de bombardement normatif permanent, qui offre peu de répit aux organisations qui doivent sans cesse s’adapter à de nouvelles pratiques, dont les professionnels de terrain ne voient pas toujours le sens.

Les bons et les mauvais élèves

Les évaluateurs entrent leurs résultats directement dans le SI Synaé qui édite automatiquement le rapport sous forme de graphiques. Les résultats seront rendus publics sur un site internet. Il est pour l'instant question du site de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA). La France entière pourra donc voir qui sont les bons élèves et qui sont les mauvais élèves. Cette visibilité imposée des résultats risque de déplaire à bien des professionnels.

De plus, le profil des nouveaux évaluateurs accrédités par le Cofrac sera probablement différent de celui des évaluateurs externes qui étaient souvent des acteurs du travail social. Pour les professionnels, être évalué par des techniciens qui respecteront froidement les éléments du référentiel risque d’exacerber la désagréable sensation de passer un examen.

Une logique toujours plus descendante

Parmi les 157 critères, 18 sont dits impératifs. Si l’ESSMS n’obtient pas la cote de 4 (« le niveau atteint est tout à fait satisfaisant »), il a l’obligation de mettre en place immédiatement un plan de correction des pratiques. Ces 18 critères sont non négociables, les autres un peu plus, dans une certaine mesure. En tout état de cause, les critères du référentiel qui sont des pratiques concrètes, viennent s’imposer aux professionnels qui risquent de vivre une privation de leur liberté d’action ou encore d’avoir le sentiment que la société ne leur fait plus confiance.

Des aspects positifs ?

Le nouveau système offrira peut-être des aspects positifs. La Dacq ne disparaît pas. Les ESSMS peuvent réaliser des autoévaluations pour mettre un plan d’amélioration en œuvre qui doit leur permettre de se rapprocher des normes de fonctionnement du référentiel. Une démarche de réflexion collective sur les pratiques est toujours bonne à prendre, même quand le choix des pratiques est limité.

Chasser les brebis galeuses

Enfin, dans un webinaire de présentation, les acteurs de la HAS indiquent que les 18 critères impératifs correspondent à « ce qu’on ne veut plus voir ». On comprend par là que l’évaluation devrait identifier les ESSMS qui dysfonctionnent gravement notamment en termes de maltraitance institutionnelle, afin que ces derniers corrigent rapidement leur fonctionnement ou, dans le cas contraire, que leur autorisation leur soit retirée.

Mais on peut douter de la réalité de cet effet du nouveau système. Dernièrement une étudiante de la filière Caferuis, qui était employée chez un des deux groupes privés d’Ehpad, qui ont récemment été pointés du doigt pour leurs graves dysfonctionnements, m’expliquait que les ESSMS de son employeur avaient tous obtenu sans problème des certifications qualité délivrées par des évaluateurs accrédités par le Cofrac.

Renforcer les moyens humains des autorités de tutelle

Ce n’est pas parce qu’on présente un joli plan de prévention de maltraitance à l’évaluateur qui mérite une cote de 4, que le fonctionnement est effectivement bien traitant. Une organisation est plus complexe qu’une simple liste de cases à cocher.

Pour se débarrasser des rares ESSMS qui dysfonctionnent et nuisent à l’image du travail social, il serait peut-être plus judicieux de renforcer les moyens humains des autorités de tutelle, qui disposent de tout l’arsenal juridique et administratif dans le code de l'action sociale et des familles (CASF) pour réaliser de véritables contrôles approfondis et pour sanctionner.

Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Jean-LucGautherot
Ingénieur social
ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres