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Tribune libre11 mai 2020
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Mon Ehpad au temps du coronavirus (6) : Il ne faudra plus nous oublier

Depuis six semaines, le journal de bord d'Eve Guillaume nous permet de vivre de l'intérieur le quotidien d'un Ehpad confronté au Covid-19. Pour sa dernière livraison, elle nous raconte le retour de certaines activités non dénué d'inquiétudes.

La date du 11 mai tant attendue par certains résidents approche : J-7. Aucune consigne ne nous est parvenue pour le moment, mais nous nous doutons que peu de choses changeront dans nos établissements à cette date. Le virus fait des ravages dans la catégorie de population que nous accueillons. Rouvrir nos établissements serait prendre un trop grand risque. Pourtant, les résidents gardent espoir malgré nos discours pessimistes.

Lundi 4 mai : paie, tests et bougies

La responsable des ressources humaines s’attelle à la paie comme chaque début de mois. Notre logiciel est enfin paramétré pour pouvoir verser les primes « grand âge » et « attractivité territoriale » annoncées en janvier par le gouvernement. Ils nous étaient demandés de la verser avant avril, mais c’était sans compter sur le temps de réactivité de certains logiciels de paie. Réaliser la paie pour plus de 100 agents quand habituellement on en compte 68. La différence vient du nombre de vacataires venus en renfort sur le mois d’avril et qui sont payés avec un mois de décalage pour prendre en compte le temps effectif réalisé.

Un casse-tête, à dépiauter tous les plannings, faits et refaits des dizaines de fois au rythme des nouvelles absences annoncées. Notre logiciel de planning n’étant plus paramétré correctement depuis des années, cela ne facilite pas la tâche des ressources humaines, obligées de travailler presque manuellement sur des plannings papiers. La digitalisation de notre établissement a encore des progrès à faire.

L’ensemble du personnel présent jeudi dernier a été dépisté. Reste à organiser le dépistage des autres agents. Le laboratoire réalise des dépistages dans le centre médico-social à deux rues de notre établissement. Il est donc convenu qu’à partir de demain, nous enverrons le reste du personnel, y compris le personnel de nuit, se faire dépister par petits groupes.

Mardi 5 mai : alerte sur les gants !

Aujourd’hui, une résidente fête ses 95 ans. Un ami de la résidente nous appelle depuis 9h, souhaitant venir la voir et lui déposer un bouquet de fleurs. Malheureusement, les visites de la journée sont complètes depuis presque une semaine. Une incompréhension de cette règle par le proche de la résidente le conduit à des mots peu aimables envers l’agent d’accueil. J’interviens dans la joute verbale pour apaiser les tensions et conviens avec le Monsieur qu’il passera à 14h30 exceptionnellement. Cependant, je lui rappelle que notre établissement a été touché par le coronavirus et qu’il y a un risque. À 14h30, nous descendons la résidente, curieuse de découvrir son visiteur qui a pensé à son anniversaire, mais personne ne se présente…

Le comité de direction se réunit à nouveau à partir de cette semaine. À l’ordre du jour, l’organisation des congés annuels, le nouveau planning de la réorganisation suite à l’audit que nous avions réalisé en janvier, la clôture de l’exercice 2019… Tous les congés annuels de la fin du mois de mars et du mois d’avril ont été annulés. Ces deux mois nous obligent à revoir tous les plannings prévisionnels des congés 2020. Les agents ayant programmé des vacances à l’étranger cet été se sont vus annuler leur vol et leur séjour. Les plans changent, notamment pour ceux retournant dans leur région d’outre-mer.

Nous commençons à nous inquiéter pour notre stock de gants à usage unique. Notre fournisseur nous informe que nous ne serons pas livrés avant mi-juin. D’autres établissements en Ile-de-France et sur le territoire national ont commencé à alerter sur ce sujet depuis quelques jours. Comme pour les masques, nous ne pouvons que nous outrer de voir la population générale s’équiper de gants dans les rues quand nous-mêmes ne parvenons plus à nous fournir. Rappelons que les gants sont une catastrophe en terme d’hygiène en temps d’épidémie et que leur utilisation fait prendre plus de risque à son usager et son entourage qu’ils ne le protègent. On s’étonne depuis le début de la crise de ne pas voir plus d’information grand public à ce sujet.

Cet après-midi, nouveauté, six personnels participent à un groupe de parole avec deux psychologues du département de la Seine-Saint-Denis. Une séance qui se déroule à distance. Encore une fois, nous sommes confrontés à la technologie. Les tablettes qui nous ont été offertes n’ont pas un son assez fort pour que tout le monde entende, notre matériel se déconnecte tout seul de la visioconférence… Nous finissons par utiliser un téléphone en haut-parleur.

Mercredi 6 mai : un nouveau résident de 60 ans

Nous apprenons d’autres retours de tests positifs pour des agents, tous les deux asymptomatiques. Ces deux personnes vont être confinées pendant 10 à 15 jours avant d’être retestées.

Je reçois la première demande de reconnaissance en maladie professionnelle. L’un des syndicats de l’établissement se mobilise sur la question. Le ministre Olivier Véran a annoncé fin avril la reconnaissance systématique en maladie professionnelle pour tous les soignants atteints par le Covid-19. Aucun texte n’est pour le moment paru.

Notre précédent médecin coordonnateur a quitté ses fonctions hier. La médecin recrutée en renfort sur le mois d’avril vient d’accepter d’assurer cette fonction deux jours par semaine ayant envie de travailler avec cette équipe et adhérant au projet global. Une victoire, quand on connaît la difficulté des Ehpad à recruter un médecin coordonnateur.

La semaine dernière, nous avons accueilli un nouveau résident qui a à peine 60 ans. L’hôpital était pressé qu’il sorte et son domicile n’était pas adapté à son état de santé. Légitimement, Monsieur L s’interroge sur sa présence dans notre établissement. Il travaillait encore avant son hospitalisation et souhaite reprendre une activité. Ayant la chance de disposer de la présence de kinésithérapeute tous les jours, contrairement à certains services de soins de suite et de réadaptation, nous convenons avec le résident et sa tutrice qu’il prenne le temps de faire sa rééducation dans nos locaux et qu’il retourne à son domicile le jour où il s’en sentira les moyens. La précarité de certaines situations et la difficulté des hôpitaux à garder trop longtemps un lit occupé conduisent parfois à des orientations de patients par défaut et souvent peu adaptées.

Jeudi 7 mai : folle inflation sur les masques

Ce matin, la filière gériatrique du centre hospitalier de Saint-Denis vient nous rencontrer afin de savoir comment nous nous sommes organisés pendant la crise et quelles sont nos difficultés actuelles. Un temps d’échange constructif pour revenir sur chaque étape de la crise.

L’après-midi, c’est au tour de Médecins sans frontière de venir échanger avec les équipes pour une information sur les règles d’hygiène et sur le soutien psychologique existant (numéro vert, association…). Un rappel après le passage de l’infirmière hygiéniste toujours nécessaire en période d’épidémie et à l’approche du déconfinement.

En allant dans une pharmacie à la recherche de masques pour mon usage personnel, j’ai pu constater le prix effarant de ceux-ci. Une question se pose alors, comment les agents vont-ils pouvoir se fournir ? Les masques en tissu sont à 5 euros l’unité en moyenne, il faut les laver après chaque utilisation à 60 degrés, une logistique et un coût important. Nous recherchons alors des associations ou des fournisseurs qui pourraient nous aider à équiper le personnel.

Week-end du 8 mai : ne pas retomber dans l'anonymat

Les équipes ont appris hier soir le versement d’une prime exceptionnelle de 1 500 euros pour les personnels des Ehpad dans les territoires les plus touchés. Une annonce qui était très attendue. Le ministre l’avait d’abord annoncée pour les hôpitaux, créant un certain agacement du secteur médico-social qui n’a pas été épargné durant la crise. Les décès dans les Ehpad représentent un tiers du bilan et les établissements du secteur du handicap ont aussi été touchés. La bataille, même avec peu d’armes, nous l’avons menée.

Le déconfinement approche. Des questions persistent. Les résidents sont, par définition, libres d’aller et venir ; comment dès lors pouvons-nous les empêcher de sortir le 11 mai alors que tout citoyen pourra, dans un périmètre de 100 km, se promener sans attestation ? Nous devons nous assurer du bon port du masque pour chaque résident qui sortirait, rappeler les mesures de sécurité et surveiller à nouveau le retour dans l’établissement en contrôlant le lavage des mains. Nous sommes revenus aux réflexes du début de l’épidémie… cette fois avec des masques…

La fin du confinement ne sonne pas la fin de l’épidémie. La prudence nous guidera encore pendant plusieurs semaines. Ces deux mois ont mis sur le devant de la scène nos établissements. Parfois pour valoriser nos actions, parfois pour les qualifier de mouroirs. Une prise de conscience a émergé sur la nécessité de repenser l’accompagnement de nos anciens, de valoriser les personnels de santé dans leur ensemble, de redonner des moyens pour que notre système de santé soit à la hauteur de nos ambitions pour la population.

La crainte serait qu’au 11 mai, une amnésie généralisée nous fasse retomber dans l’anonymat et nous condamne à poursuivre aveuglément la même trajectoire.

La vie d'un Ehpad jour après jour

Comment rendre compte au mieux du quotidien des professionnels que nous avons pour mission d'informer ? Confier un journal de bord à une directrice d'Ehpad nous a semblé essentiel surtout à un moment où le grand public découvre que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) abritent une population très fragile.

Voici deux mois, nous ne connaissions pas Eve Guillaume, toute jeune directrice en Ehpad. Nous l'avons « rencontrée » via son compte Twitter. Nous l'avons interrogée longuement pour un article « Comment les Ehpad pallient à tous les manques ». Nous avons souhaité que le fil que nous avions commencé à tisser avec cet Ehpad public de Seine-Saint-Denis ne se casse pas. Voilà pourquoi nous avons proposé à Eve Guillaume de tenir, au moins jusqu'à la fin du confinement, son journal de bord sur les grands et petits faits de la vie en établissement. Une façon de ne jamais oublier les plus vulnérables des vulnérables...

Nous publions cette semaine le 6e et dernier journal de bord sur la vie en Ehpad. Qu’Eve et toute son équipe soient ici remerciés d'avoir pris un temps précieux pour nous faire vivre ce combat pour la vie.

Retrouvez les cinq premiers épisodes de ce carnet de bord :

EveGUILLAUME
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