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Tribune libre30 novembre 2022
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Travail social et laïcité, un jeu dangereux

Comme le monde universitaire, le travail social est agité par des débats autour des questions d’intersectionnalité et de "race". Dans cette tribune libre*, Paul Alexandre Voisin, éducateur spécialisé et élu local, juge essentiel que tous les acteurs puissent questionner "ces nouveaux dogmes qui infiltrent les pratiques professionnelles".

Il y a deux ans, lors des journées organisées par la Fédération des centres sociaux à Poitiers, la visite de la secrétaire d’État Sarah El Haïry a beaucoup fait parler. Venue à la rencontre d’une centaine de jeunes ayant travaillé les thèmes de la religion et de la laïcité auprès de professionnels, les échanges ont tourné court et dévoilé médiatiquement le fossé qui sépare désormais une partie des professionnels de l’action sociale, dont la posture en direction d’une jeunesse interpelle, et les valeurs portées par l’essence même de ce secteur d’activité.

Méfiance envers les institutions

Lors des tables rondes, le malaise s’est ressenti quand des jeunes participants ont manifesté leur désir de plus de religion au sein de l'école tandis que la secrétaire d'État défendait la laïcité au sein des établissements scolaires et des organisations de jeunesse. La place prise par les questions identitaires et de religion par ces jeunes doit nous interroger. Le fait que ces journées d’échanges aient été encadrées par des travailleurs sociaux dépendant de la Fédération des centres sociaux inquiète d’autant plus que se pose la question de savoir pourquoi ils en sont arrivés à tenir de tels propos et adopter une méfiance aussi marquée envers les institutions.

Postures militantes

Cette posture professionnelle interpelle et doit collectivement interroger les différents acteurs du secteur. Le travail d’insertion, au sens large, ne peut se mener au travers de postures militantes qui n’auront pour effet d’ostraciser encore plus une jeunesse souvent exclue des dispositifs de droit commun et d’une citoyenneté pleine et entière.

La jeunesse des QPV (quartiers prioritaires de la ville) n’est pas la seule à connaître et manifester son désir de communautarisation en s’affranchissant des règles communes. En désignant l’État et ses représentants comme les empêcheurs d’une liberté qui leur serait confisquée au nom de politiques publiques jugées liberticides voire islamophobes.

Difficultés rencontrées dans les structures

Un rapport de l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) vient souligner les dérives communautaristes dans les associations sportives, de jeunesse et les structures d’accueil des jeunes. Certains progrès sont signalés concernant la vigilance et les actions de contrôle par les autorités administratives. Il est tout de même observé que la sensibilisation concernant les acteurs de terrain pour signaler les difficultés rencontrées dans les structures, associations et clubs sportifs locaux demeure loin d’être efficace.

Dans les écoles, collèges et lycées, les attitudes de défiance vis-à-vis de notre modèle de société sont de plus en plus nombreuses. En octobre 2022, 720 signalements ont été enregistrés pour des atteintes à la laïcité au sein des établissements scolaires, le chiffre ayant doublé par rapport au mois précédent. La mobilisation contre la loi du 15 mars 2004 relative à la tenue des signes religieux ostentatoires à l’école demeure le principal objet de contestation.

Si 40 % des atteintes concernent le port de tenue ostentatoire, il est toujours aussi difficile voire dangereux pour la sécurité physique des différents professionnels d’évoquer dans un climat serein les questions de laïcité et d’universalisme. Récemment, c’est à Montauban qu’une professeure a dû être placée sous protection pour avoir dénoncé le port d’une abaya par une élève.

Une bataille culturelle

Depuis plusieurs mois, voire années, le monde universitaire et de la recherche est agité par des débats autour des questions d’intersectionnalité et de « race », de la primauté du ressenti chez l’individu au détriment de sa capacité au vivre ensemble. Ces débats touchent aussi la plupart des travailleurs sociaux, souvent avides de nourrir leurs connaissances et leur pratique professionnelle, et influencés par les travaux d’universitaires de renom et engagés.

L’appropriation de ces idées par les professionnels de l’action sociale est problématique car elles vont à l’encontre des valeurs initialement portées par le travail social. Secteur fondamental pour notre société du « faire ensemble » et du « vivre ensemble » au-delà de nos différences. Il participe de l’idéal démocratique, par les remédiations sociales qu’il réalise, l’accompagnement de publics en difficulté, d’exclus, qui doivent pouvoir trouver leur place, comme citoyens à part entière.

Encore et toujours, une question de formation

Jusqu’à peu et jusqu’aux récentes réformes des divers diplômes du travail social, la laïcité était absente des programmes de formation.

C’est à ce niveau que les efforts doivent se porter, avec une attention particulière sur la formation initiale. Enseigner auprès des futurs jeunes professionnels une vraie culture laïque et émancipatrice du travail social doit figurer dans les priorités des programmes de formation.

Outre la formation initiale, la formation continue des professionnels mérite d’être redéfinie. Malgré les nombreux efforts effectués sur les formations « Valeurs de la République et Laïcité » et la formation des fonctionnaires, de nombreuses inquiétudes émanent de certains contenus de formation proposés par des prestataires associatifs. Prestataires issus pour beaucoup de l’éducation populaire autrefois laïque qui défendent aujourd’hui un certain nombre de valeurs au nom d’une tolérance mal comprise, attribuée à la laïcité.

Tolérance mal comprise, car bien souvent confondue avec ce qu’est la laïcité. La laïcité n’ayant que peu à voir avec l’esprit de tolérance. Il est avant tout un principe qui permet à tous de vivre ensemble dans le cadre des lois qui s’appliquent à tous et qui instaurent l’égalité des droits et des devoirs.

Se mobiliser pour garder ces valeurs, un enjeu crucial

Pour revenir à une approche de l’intégration par ce qui nous est commun, il est indispensable de revenir à ce qui donne sens au travail d’insertion.

La capacité à se questionner, à chercher du sens, adapter sa pratique professionnelle, être garant des libertés individuelles sont les forces des travailleurs sociaux, aucun ne pourra en douter. Par contre, il est essentiel que tous les acteurs puissent questionner ces nouveaux dogmes qui infiltrent les pratiques professionnelles et pervertissent leur action. Ils n’auront finalement pour effet que de participer à la fragmentation d’une partie de la société et à pousser au repli sur soi et communautaire.

L’ensemble des acteurs du travail social, les centres de formations ainsi que les ministères de tutelle doivent faire leur devoir d’inventaire.

Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Paul AlexandreVOISIN
Éducateur spécialisé et élu local
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