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Tribune libre16 février 2021
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Respect des principes de la République : "Il faut attaquer le mal à la racine"

Dans cette tribune libre, Jean-Claude Sommaire, ancien secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration, demande aux pouvoirs publics de changer de braquet dans la lutte contre l'islamisme radical en concevant un programme éducatif spécifique en direction des jeunes.

En plein débat, à l'Assemblée nationale, sur le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », Jean-Claude Sommaire, ancien secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration (HCI), engagé dans la vie associative, estime qu'il ne suffit pas de multiplier des interdictions en tout genre pour penser pouvoir régler les graves problèmes auxquels nous sommes actuellement confrontés. Il demande aux pouvoirs publics, et aux associations intéressées, d'étudier la création d'un réseau d'animateurs bénévoles de vie personnelle et civique, venant compléter le difficile travail des enseignants dans ce domaine. Il pense notamment que, dans le secteur social, divers réseaux pourraient utilement s'approprier cette problématique. Voici la tribune libre qu'il nous a adressée.[*]

Un constat alarmant

D'après plusieurs sondages récents, un nombre important de nos jeunes concitoyens scolarisés dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville se sont éloignés des principes républicains qui fondent notre vivre ensemble. En effet, sur beaucoup de sujets, nombre d'entre eux se réfèrent d'abord à leur « religion », généralement « l'islam des banlieues », plutôt qu'aux enseignements qui leur sont dispensés par l'école publique.

Pour Olivier Galland, qui a publié en 2018 une grande enquête sur « la tentation radicale », un fossé béant s'est creusé entre la culture familiale et communautaire de ces élèves et la culture de l'école qui cherche à leur apporter, comme aux autres enfants, les connaissances et les valeurs républicaines d'émancipation qui fondent notre société démocratique. De son côté, l'Observatoire de l'Éducation de la Fondation Jean Jaurès vient de publier une enquête sur la façon dont les enseignants vivent les contestations de la laïcité et les revendications religieuses.

Surveiller, contrôler, interdire... ne suffit pas

Ce séparatisme culturel ne pourra pas être combattu uniquement par des dispositions d'ordre sécuritaire. Des mesures éducatives spécifiques doivent absolument être élaborées en direction de ces jeunes, mais il faut être conscient que, pour la plupart d'entre eux, toute pédagogie « traditionnelle », verticale, allant du maître vers l'élève ne fonctionne pas. Des « enseignements » sur les valeurs républicaines et la laïcité qui leur seraient ainsi dispensés seraient donc totalement inopérants.

Heureusement, d'après de nombreux témoignages émanant d'acteurs de terrain – enseignants, animateurs socio-culturels, travailleurs sociaux –, ces jeunes qui nous inquiètent demeurent encore demandeurs, à l'école ou ailleurs, de moments de rencontre et d'échange sur de nombreux sujets de société, en lien avec ce qu'ils vivent au quotidien, parmi lesquels tous ceux se rapportant aux « religions ».

Des temps spécifiques de libre expression

Il faut organiser, avec eux, des temps spécifiques de libre expression et d'échanges, en sachant que leurs propos, inévitablement, viendront heurter frontalement nos valeurs républicaines universalistes. Il faut accepter d'entendre leur ressentiment à l'égard de notre société qui leur parle d'égalité et de justice alors qu'eux-mêmes se considèrent victimes du racisme, des discriminations ethniques, des contrôles et des humiliations policières.

Évidemment, ce n'est pas un exercice facile comme l'a montré, fin octobre, la session organisée à Poitiers, avec 130 jeunes, par la Fédération nationale des centres sociaux sur le thème de la religion. Le dialogue s'est avéré impossible avec la secrétaire d'État à la jeunesse et à l'engagement, venue honorer de sa présence la séance de clôture.

Pourtant, multiplier échanges et dialogues de qualité est la seule voie réaliste, aujourd'hui, si on veut aider ces jeunes à s'extraire de leur enfermement dans une représentation unilatérale du monde qui se nourrit d'une approche salafiste du Coran prêchée sur les réseaux sociaux.

Des questions sur le sens de leur vie

Comme d'autres, les jeunes des cités se posent des questions sur le sens de leur vie, en s'interrogeant sur leur place dans notre société. Du fait de leur destin de Français minoritaires, ces adolescents se construisent une identité complexe incluant une part de l'histoire familiale qui les a précédés. Bien que juridiquement français, ils se considèrent d'abord comme Algériens, Marocains, « blacks », musulmans…

Surreprésentés dans la délinquance et souvent originaires des immigrations post-coloniales maghrébines et africaines sub-sahariennes, ils se réfugient trop facilement dans un islam idéalisé et instrumentalisé, hostile aux valeurs occidentales.

Une démarche inspirante au Québec

Il y a une vingtaine d'années, le Québec, prenant en compte le fait qu'il était devenu multiculturel, a mis en place un réseau d'animateurs de vie spirituelle et d'engagement communautaire, conçu comme un service éducatif complémentaire au système scolaire, afin de permettre aux jeunes « d'approfondir leur vie intérieure et d'agir pour changer le monde ».

Conçu comme une sorte de laboratoire laïc, ce réseau, qui visait à accompagner la vie spirituelle et les engagements des adolescents dans la société, ne s'est toutefois pas développé autant que l'auraient souhaité ses promoteurs. Cette tentative intéressante, non reproductible dans la France laïque, a toutefois été une façon originale d'aborder une problématique à laquelle nous ne savons pas répondre, celle d'une éducation à la spiritualité contribuant à faire du commun dans une société multiculturelle…

Des animateurs de vie personnelle et civique

Organiser et multiplier les occasions de dialogue pour aider ces jeunes à mûrir, à cheminer et à évoluer, en suscitant chez eux questionnements et doutes, se fait déjà dans le cadre scolaire habituel, à l'initiative d'enseignants motivés, mais force est de constater que d'autres, moins aguerris, choisissent l'évitement des questions sensibles. Après la décapitation de Samuel Paty on peut d'ailleurs difficilement leur en faire le reproche.

Ces occasions de dialogue doivent donc être également développées, en dehors des établissements scolaires, dans des lieux ouverts où l'on puisse parler plus spécifiquement des questions relatives à leurs conditions de vie dans la cité, et des sujets qui les préoccupent se rapportant à l'islam, au blasphème, à la laïcité, aux idéologies, etc.

À cet effet, il conviendrait que les pouvoirs publics étudient la création d'un réseau d'animateurs de vie personnelle et civique venant compléter le travail des enseignants et des divers intervenants déjà présents au sein de l'institution scolaire. Comme a pu l'écrire Jérôme Fourquet, après le drame de Conflans, « il faut changer de braquet » et s'attaquer à la racine du mal. Ce réseau, composé de bénévoles motivés et formés, en activité ou retraités, pourrait s'inscrire dans le cadre de la réserve civique de l'Éducation nationale.

Valoriser les compétences du secteur social

Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Éducation nationale, qui a mis fin à la pratique du « pas de vague » dans le système éducatif, aurait toute la légitimité pour constituer ce réseau avec le concours des différentes administrations de l'État, ayant à connaître des problèmes des jeunes en difficulté, en s'appuyant sur :

  • l'Association des maires de France (AMF) : les maires, chargés des écoles primaires, pouvant aussi mobiliser le tissu associatif local ;
  • l'Assemblée des départements de France (ADF) : les départements chargés des collèges, pouvant aussi mobiliser le secteur de la protection de l'enfance relevant directement de leur compétence ;
  • l'Association des régions de France (ARF) : les régions, chargées des lycées, pouvant aussi mobiliser le secteur de la formation des travailleurs sociaux ;
  • les grands réseaux associatifs de la protection de l'enfance, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de l'éducation populaire.

Ce serait une véritable opportunité pour le secteur social de valoriser ses compétences.

(*) Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Administrateur civil honoraire et ancien auditeur de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (Inhesj), Jean-Claude Sommaire a été secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration (HCI), après avoir été sous-directeur du développement social, de la famille, et de l'enfance à la direction générale de l'action sociale du ministère des Affaires sociales.

À la retraite depuis plusieurs années, il a été président du Conseil technique de la prévention spécialisée de 2007 à 2009, instance supprimée depuis. Par ailleurs, il a été longtemps administrateur de la Sauvegarde de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte des Yvelines et il est membre d'un groupe local de Solidarité nouvelle pour le logement dans sa commune de résidence. Il a également été secrétaire, pendant de nombreuses années, de l'association parisienne Afrique partenaires services, spécialisée dans l'accueil social de populations en difficulté originaires d'Afrique sub-saharienne.

Au sein du HCI, il a notamment contribué, en 2001, à la production du rapport « L'Islam dans la République » . Dans cette continuité, il est aujourd'hui engagé dans divers réseaux de réflexion sur les questions liées à l'immigration et à la crise de notre « modèle français d'intégration ».

Jean-ClaudeSOMMAIRE
Ancien secrétaire général du Haut Conseil à l'intégration
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