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Tribune libre10 septembre 2025
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Qu’entend-on par "intérêt général" ?

À l’heure des restrictions budgétaires, l’intérêt général est invoqué pour justifier des coupes. Mais que recouvre réellement cette notion dans le champ de l’action sociale ? Dans cette tribune libre*, Roland Janvier, chercheur en sciences sociales, interroge ce concept glissant et son usage politique.

L’heure est aux économies des dépenses publiques pour endiguer la dette de l’État français qui vivrait au-dessus de ses moyens. Le travail social n’échappe pas à ces restrictions. Mais comment réduire les charges de l’action sociale tout en préservant « les missions d'intérêt général et d'utilité sociale » dont est investie l’action sociale et médico-sociale ?

Notion floue et glissante

Cette notion d’intérêt général est glissante et convoquée parfois à tort et à travers. C’est peut-être ce flou qui rend envisageable pour l’État de réduire drastiquement les ressources des collectivités publiques pourtant chargées de garantir la solidarité nationale dans les territoires.

C’est notamment le cas des départements qui sont étranglés par l’effet ciseau de l’accroissement de leurs charges (RSA ou protection de l’enfance avec notamment les mineurs non accompagnés) et la diminution de leurs ressources (aléa des droits de mutation qui soumet l’aide sociale aux fluctuations du marché immobilier).

La loi confère donc à l’action sociale une mission d’intérêt général mais n’apporte pas de précision sur la portée de cette orientation. Cependant, nous pouvons tenter de cerner ce que pourrait être l’intérêt général du point de vue de l’action sociale.

En effet, ce point d’observation qu’est l’action sociale offre une vision précise quant à la manière dont les solidarités se tissent pour les habitants. Il est donc important d’analyser en quoi celle-ci serait susceptible de contribuer concrètement à « la capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de former ensemble une société politique [1] ».

Intérêt général vs intérêts particuliers

L’intérêt général s’oppose aux intérêts particuliers. Il suppose le dépassement de ces derniers, mais pas leur effacement. La cohésion sociale est la condition de formation de cette société politique.

Elle est placée par le législateur comme une mission centrale de l’action sociale. Le code de l'action sociale et des familles précise qu’elle s’adresse « en particulier [aux] personnes handicapées et [aux] personnes âgées, [aux] personnes et [aux] familles vulnérables, en situation de précarité ou de pauvreté ».

La définition légale du travail social renforce cette idée : « Le travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la société. »

Ces dispositions légales posent, implicitement, une orientation stratégique quant à la manière d’atteindre l’objectif ambitieux d’une société cohésive. C’est en prenant en compte les membres les plus fragiles de notre société que sa cohésion est envisageable.

Cette option éclaire et complète les intuitions des fondateurs de notre République démocratique qui posaient l’égalité de tous en droit et en dignité. L’universalité des droits ne règle pas les inégalités inévitables de toute vie en société. Cependant, il ne suffit pas de l’affirmer.

Et l’histoire de nos Républiques a montré que les chemins pour parvenir à cette égalité étaient pavés d’embûches. À ce principe des droits universels, il faut attacher une manière concrète d’y parvenir.

C’est cette voie que nous pouvons décrypter par la manière dont la loi articule l’objectif de la cohésion sociale – fondée sur l’égalité de tous devant la loi et la dignité de toute personne – et l’aide et le soutien aux personnes en situation de vulnérabilité.

Perspective de transformation sociale

Cette option ouvre une perspective assez radicale de transformation sociale : c’est par l’émancipation des personnes les plus éloignées des droits fondamentaux que nous réformerons les cadres du vivre ensemble. Cela supposerait que les politiques sociales ne soient pas elles-mêmes sources de discriminations.

Nous constatons pourtant que l’accès aux droits sociaux n’est pas identique selon l’origine des ayants droit (limitations de droit des demandeurs d’asile), que l’application des lois diffère selon l’âge (récente réforme de la justice pénale des mineurs avec la loi Attal), que le droit au logement est tributaire de la situation administrative des personnes (conditions imposées par les bailleurs sociaux), etc.

L’action sociale, référée à l’intérêt général, se traduit dans des dispositifs qui portent parfois atteinte à ce principe général d’égalité et de justice.

Or, il faut le réaffirmer, c’est par l’attention prioritaire aux personnes les plus exclues du jeu social que seront fondés des rapports sociaux plus égalitaires, plus inclusifs.

Outre leurs difficultés individuelles, les usagers de l’action sociale, parce que leur situation est notamment produite par l’ensemble des dysfonctionnements sociétaux, sont le ferment d’une société renouvelée dans ses fondements. Toute action allant dans le sens de l’intérêt des personnes vulnérables est alors une action de promotion de tous les membres de la société, et donc, une action d’intérêt général.

Quand nous utilisons ce slogan de l’intérêt général, ayons conscience qu’il ne s’agit pas d’un simple vœu pieux ou d’un habillage démocratique de surface mais d’une stratégie qui crée les conditions d’une transformation en profondeur de nos rapports sociaux, de notre projet de société. Transformation qui place l’action sociale au cœur de tout projet politique.

[1] Conseil d’État, Réflexions sur l'intérêt général, 30 novembre 1998.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

RolandJANVIER
Chercheur en sciences sociales, Docteur HDR en sciences de l’information et de la communication
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