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Interview19 septembre 2019
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Madeleine Mathieu : « La dimension éducative va se renforcer »

Comment le projet d’abrogation de l’ordonnance de 1945 se prépare-t-il à la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ? Sa directrice nous détaille l’origine de la réforme, ainsi que ses effets attendus pour les travailleurs sociaux.

Pourquoi réformer, encore, la justice pénale des mineurs ?

Madeleine MathieuJustement car l’ordonnance de 1945 a subi pas moins de 39 modifications depuis son entrée en vigueur. A chaque fois, elle a été réécrite de façon ponctuelle, dans des orientations différentes, voire divergentes. Et au fur et à mesure, le texte a fini par manquer de cohérence et de lisibilité. La numérotation, par exemple, ne tient plus compte d’une logique juridique. Les parties législative et réglementaire sont mélangées, et un article 31 peut suivre le 29 sans passer par le 30… L’ordonnance est ainsi devenue illisible, pour tous les intervenants dans la justice des mineurs. J’ai moi-même été juge des enfants, et ce n’était pas un texte facile à appliquer !    

Dès que le gouvernement a été habilité à la réformer par ordonnance, en mars, nous avons d’ailleurs adressé un questionnaire aux agents de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), notamment. Et sur les mille réponses reçues, un accord massif se dégageait pour la réformer.

La Protection judiciaire de la jeunesse a donc été impliquée dans ce projet de réforme ?

MM Dès son arrivée, la garde des Sceaux s’était intéressée à la possibilité de cette réforme. Et elle m’avait demandée d’organiser sur cette question un groupe de travail. Présidé par une magistrate, associant notamment des professionnels de la justice des mineurs, ce groupe a entendu de multiples intervenants, de juin à novembre 2018, pour examiner l’opportunité d’une réforme et rechercher dans quels axes elle pourrait aller. Ses préconisations ont été un élément de réflexion - en complément d’autres rapports.

Puis, lorsque la garde des Sceaux a obtenu du Parlement l’habilitation pour réformer l’ordonnance de 1945, nous avons ouvert une vague de consultation, non seulement à travers ce questionnaire aux professionnels, mais aussi par de nombreux entretiens menés par la ministre, et par mes services. C’est à partir de ces consultations que nous avons travaillé à la rédaction du texte, avec plusieurs autres directions du ministère de la Justice, et en lien avec des parlementaires de tous horizons.

Enfin, une fois rédigé notre projet de code de la justice pénale des mineurs, nous avons encore engagé des consultations, notamment avec les syndicats de la PJJ, avant de le soumettre, cet été, au Conseil d’Etat. A présent, ce texte va pouvoir servir de base à un débat parlementaire, comme la garde des Sceaux s’y est engagée.

Fixer à 13 ans l’âge à partir duquel un jeune est présumé « discernant » a-t-il donc fait débat, à la PJJ, durant ce travail préparatoire ?

MMCertains souhaitaient un âge plus élevé, d’autres moins… Parmi les mille réponses à notre questionnaire, la majorité souhaitait même que cette présomption simple de discernement soit fixée à un âge inférieur. Mais cet âge est quand même celui à partir duquel, en France, une peine peut être infligée…

Olivier Bonnin

La réforme proposée introduit aussi une césure, entre le jugement sur la culpabilité, d’une part, et celui sur la sanction, d’autre part. Entre les deux serait conduite une « mise à l’épreuve éducative » de 6 à 9 mois. Mais certains syndicats trouvent ce temps éducatif bien court…  

MMEn réalité deux logiques divergentes sont exprimées parmi les professionnels - qu’ils soient éducateurs spécialisés, psychologues ou assistants de service social. Les uns nous disent avoir besoin de temps, pour mener le mineur à accepter sa culpabilité. Mais les autres, au contraire, pensent qu’il sera plus facile de travailler avec des jeunes si leur culpabilité est ainsi posée à l’avance.

Je comprends ces deux positions. Mais ce délai de 6 à 9 mois laisse toute capacité pour déployer l’action éducative, à travers la « mesure éducative judiciaire provisoire », désormais unique, avec ses différents modules.

Le ministère de la Justice promet ainsi que le jugement sur la sanction sera finalement prononcé 12 mois après les faits, contre 18 en moyenne aujourd’hui. Mais cela ne nécessite-t-il pas, également, des moyens supplémentaires ?

MM Aujourd’hui, les mesures peuvent tarder à être mises en œuvre, en raison, justement, de leur empilement ! Il appartiendra aux parlementaires d’évaluer les moyens nécessaires, dans le projet de loi de finances pour 2020 et à l’occasion du débat sur la réforme. Sans doute la bascule de l’ancienne procédure à la nouvelle sera-t-elle une période difficile. Un appui important à la formation sera nécessaire, non seulement au plan juridique, mais aussi culturel. Par exemple, travailler à partir d’une culpabilité déjà posée pour le jeune impliquera un changement de point de vue…

Mais nous allons travailler à l’accompagnement de cette loi. Cette année laissée au débat parlementaire nous laisse une marge bienvenue pour préparer le personnel à la réforme, dans son état d’esprit général – même si le texte peut encore évoluer dans les détails.

Et il faudra, en outre, accompagner une évolution de notre système d’information, avec un nouveau logiciel pour les éducateurs, « Parcours ». Celui-ci permettra de comptabiliser notre activité non pas par mesure, mais par mineur, en indiquant, pour chacun d’eux, la chronologie des mesures prononcées. Ce logiciel est très attendu par les professionnels. Et il poursuit la même logique que le projet de loi.

Une grève a déjà été lancée à la PJJ, le 11 septembre, par deux syndicats contestant cette abrogation de l’ordonnance de 1945, qui, selon eux, « remet en question la dimension éducative ».

MMLa grève a été assez peu suivie globalement. Et je pense au contraire que la dimension éducative se renforce avec cette réforme. Précisons, d’ailleurs, qu’elle limite les cas de révocation du contrôle judiciaire, ainsi que les détentions provisoires des mineurs. En réalité ce nouveau texte fait la preuve de l’efficacité de l’action éducative. La délinquance des mineurs est restée stable ces dernières années !

Comptez-vous malgré tout célébrer, cet hiver, les 75 ans de l’ordonnance du 2 février 1945 ?

MMLe projet de loi de ratification ne sera sans doute pas encore voté, et l’ordonnance de 1945 ne sera donc pas encore abrogée. Mais une étape importante, pour nous, sera l’anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, du 20 novembre 1989. La direction de la PJJ travaille avec, à l’esprit, ce lien fort entre la protection de l’enfance et la lutte contre la délinquance des mineurs.   

OlivierBONNIN
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