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Interview04 septembre 2019
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Brigitte Bourguignon : « J’espère plutôt mener ces jeunes majeurs vers la vie »

La présidente de la commission des affaires sociales, Brigitte Bourguignon, a remis au Premier ministre 40 recommandations pour un « accompagnement sur-mesure » des jeunes sortant de l’ASE. Elle propose finalement d'ouvrir à tous son « contrat d’accès à l’autonomie ».

Au terme de cette mission, confiée en mars par le Premier ministre, que proposez-vous pour les jeunes sortants de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ?

Brigitte Bourguignon La philosophie de base est, d’abord, d’anticiper le plus en amont possible la sortie de l'enfant, notamment en créant une instance multi-partenariale pour évaluer sa situation - la « commission locale d’accès à l’autonomie et à la pré-orientation » (Claap). La seconde idée est de garantir, ensuite, un socle minimal de droits, particulièrement à travers un « contrat d’accès à l’autonomie », qui serait signé par le jeune majeur avec le département. Enfin je plaide pour que le droit commun soit renforcé pour ces publics, tout en préservant leurs liens affectifs.

Vous proposez par exemple d’expérimenter le revenu universel d’activité, pour tous les jeunes sortant de l’ASE. Cela pourrait-il être repris par le gouvernement ?

BB J’ai bien entendu que la concertation en cours sur le revenu universel d’activité portait, notamment, sur l’opportunité de l’étendre à tous les jeunes, de 18 à 25 ans. Personnellement cela m’irait très bien ! Mais je propose de commencer avec les sortants de l’ASE. Force est de constater que les jeunes font partie des plus pauvres dans notre société, et tout particulièrement ceux qui ne vivent pas dans leur famille.

Edouard Philippe a eu l’air intéressé par cette proposition, même s’il ne l’a pas encore acceptée. Mon rapport est pragmatique. J’ai consulté les ministres concernés pour vérifier que mes recommandations étaient entendables.

Outre le revenu universel d’activité, je propose une garantie jeunes « renforcée », notamment en termes d’accompagnement. C’est un public qui requiert davantage de suivi.

Et qu’apporterait donc la « commission locale » que vous proposez ?

BB C’est la société entière qui doit entourer les enfants protégés, et pas uniquement les travailleurs sociaux à qui ils ont été confiés. Une telle instance permettrait de faire vivre le multi-partenariat. La loi de 2016 (relative à la protection de l’enfant, NDR) avait bien prévu qu’un protocole organise cette coordination, dans chaque département. Mais trois ans après, cette conférence n’a été mise en place nulle part. L’instance que je propose permettrait de faire travailler régulièrement, sur chaque dossier, ces partenaires (tels que la CAF, la PJJ ou le rectorat, NDR).

Lorsque j’exerçais en centre communal d’action sociale, pour les bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI), des « commissions locales d’insertion » réunissaient les partenaires concernés pour envisager des solutions - que ce soit pour le logement, l’emploi, ou la santé. Je voudrais que l’on revienne à cela pour ces enfants, dès 16 ans. La Claap permettrait ainsi de travailler sur les orientations possibles, en examinant chaque situation en termes de santé, d’école, ou encore de logement.

Edouard Philippe vous avait confié cette mission pour compléter les contractualisations conclues avec les départements, visant à  « accompagner les sorties de l’aide sociale à l’enfance » (ASE). Mais comment votre rapport s’articule-t-il avec votre propre proposition de loi de 2018, pour « renforcer l’accompagnement des jeunes majeurs vulnérables vers l’autonomie » ?

BB J’espère que mes propositions seront reprises dans le Pacte pour l’enfance, que prépare actuellement le secrétaire d’Etat Adrien Taquet, mais aussi par d’autres ministres, car ce sujet inévitablement est interministériel. Ces jeunes majeurs ne sont pas en apesanteur sur le reste du monde !

Mais ce rapport vise également à enrichir et à clarifier ma proposition de loi, qui pourra être amendée en ce sens, pour sa seconde lecture. Lors de son adoption à l’Assemblée, en mai, les débats ont été phagocytés par la question de la conditionnalité du « contrat d’accès à l’autonomie », que je proposais déjà (en le réservant aux jeunes confiés à l’ASE pendant au moins 18 mois, dans les 24 mois précédant leur majorité, NDR). Pourtant il s’agissait de rendre obligatoire un contrat minimal, un « bouclier social », pour ces jeunes majeurs vulnérables ! Et ce projet n’obère en aucune manière les « contrats jeune majeur » (CJM), qui, eux, ne sont pas définis par la législation - mais ne sont qu’une pratique de certains départements, avec une répartition inégale selon les territoires.

Quand reprendra donc l’examen de votre proposition de loi ?

BB Il appartient maintenant au Sénat de l’inscrire à son ordre du jour. S’il le refuse, je saurai expliquer aux jeunes majeurs vulnérables que leur situation ne sera réglée que quand le Sénat le souhaitera.

Ceci étant le gouvernement pourrait mener ces réformes autrement, par décret notamment. Mais ce serait nier le débat parlementaire ! On ne peut pas vouloir reprendre l’initiative parlementaire et bloquer un texte pour un article ou deux. Ce qui m’importe est que nous trouvions des solutions ensemble. Que le débat ait lieu !

Et quel accueil faites-vous donc à la récente proposition de loi des sénateurs Xavier Iacovelli et Nassimah Dindar, qui obligerait notamment  à proposer les « contrats jeunes majeurs » ?

BB Elle reprend ma proposition de loi initiale, de 2018. Certes, il serait bon que le CJM apparaisse dans la loi... Mais j’ai pour ma part évolué. Le contrat jeune majeur est un placement que l’on prolonge. J’espère plutôt, avec le contrat d’accès à l’autonomie, mener ces jeunes majeurs vers la vie. Ce qui leur manque aujourd’hui est ce socle minimum, cette réponse graduée. Certains de ces jeunes ont été placés dès le début de leur vie, et finissent par être en rupture avec ce système. Ils en ont assez d’être maternés !

L'abandon des contrats jeunes majeurs, dans votre proposition de loi, a pourtant été vivement critiqué, jusque par Michèle Créoff, la vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance.

BB Plusieurs ont cru que le texte faisait disparaître les contrats jeunes majeurs. Mais c’était faux ! Et bien des critiques se sont cantonnées sur la conditionnalité des 18 mois, pour le contrat d’accès à l’autonomie. Or j’aimerais que l’on revienne sur ce point. En effet, une difficulté est que ces jeunes, qu’ils soient mineurs non accompagnés (MNA) ou non, arrivent parfois tardivement à l’ASE. Et je ne veux pas obérer leurs chances d’accéder à ce nouveau contrat. J’émets donc l’idée qu’il soit ouvert à tous les sortants de l’ASE.

Il ne faudrait cependant pas l'engager avec des enfants qui, finalement, ne resteraient pas sur le territoire… Avec les MNA, il faudrait donc poser une condition : qu’ils aient bien accès à un titre de séjour. Le ministre de l’Intérieur serait d’accord avec une telle disposition, qui pourrait être introduite par amendement. Ces jeunes font souvent d’énormes efforts, ils méritent aussi qu’on les aide jusqu’au bout. Et, de manière générale, l’investissement social auprès des sortants de l’ASE est bien moins dispendieux en prévention qu’en réparation.

OlivierBONNIN
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