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Tribune libre15 novembre 2021
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Handicap : transformer l’offre, pour qui et pourquoi?

L'ancienne présidente de l'Unapei montre comment l'objectif de transformation de l'offre s'articule avec la grande loi de 2005. Pour autant, explique Christel Prado, il reste beaucoup à faire pour mettre en accessibilité l'ensemble des pans de la vie. Le combat pour les droits est loin d'être terminé.

« Le secteur social et médico-social nous appelle à apporter des réponses personnalisées à des problèmes de masse. » Cette citation est attribuée à Jean-Jacques Trégoat, alors Directeur général de l’action sociale de 2003 à 2009. C’était avant que la terminologie « transformation de l’offre » ne s’impose à nous tous, sans doute pour apporter une réponse, non pas seulement personnalisée, mais individualisée, à ce qui représente pour notre société un problème de masse (540 000 places dans le champ du handicap en 2021).

Accompagnement « hors les murs »

Cette réponse individualisée trouve ses racines dans la montée en puissance de l’approche par les droits de l’émancipation des personnes en situation de handicap (loi 2002-2 et loi 2005). La notion de services apparaît alors, impliquant un accompagnement « hors les murs » des personnes en situation de handicap. La recomposition du paysage institutionnel médico-social est à l’œuvre dès la création des agences régionales de santé (2010) par le biais de la méthode d’appel à projets. Elle s’accélère avec la mise en œuvre de la Réponse accompagnée pour tous (2015). La création des communautés 360° (2020) en est sans doute encore une étape marquante.

Deux leviers

Nous passons ainsi d’un cadrage régional de l’offre, à une conception plus départementale, puis à une approche par bassin de vie qui s’ancre avant tout sur une offre de droit commun dont l’adaptation est nécessaire. N’est-ce pas ainsi le deuxième volet de la loi du 11 février 2005 ? C’est bien dans une dialectique équilibrée que s’inscrit cette loi. Pour réussir l’égalité des chances, la participation et la citoyenneté des personnes en situation de handicap, le législateur décide de s’appuyer sur deux leviers : la compensation individualisée des conséquences du handicap et la transformation de l’environnement de vie par la mise en accessibilité de tout pour tous.

Une affaire individuelle ou de société ?

Si le premier volet a été mis en place très tôt et continue à monter en puissance avec la création de la prestation de compensation du handicap (PCH) « parentalité » et l’ouverture de cette prestation à la préparation des repas, le deuxième volet peine à trouver sa juste voie sans doute parce que dans la tête de bon nombre de nos concitoyens, le handicap est une affaire individuelle et pas un sujet de société.

Accessibilité à tout pour tous

Or, l’accessibilité à tout pour tous, répond, dès 2005, à des problématiques actuelles d’accès à l’information et aux droits, notamment via l’accessibilité numérique (outils et contenu). Elle répond aux projets de vie exprimés par les personnes en situation de handicap qui souhaitent non pas seulement savoir faire mais pouvoir agir comme actrices de leur propre vie et contribuer au développement de leur propre environnement grâce à leurs compétences. Est-ce présomptueux de leur part ?

Désirs et capacités

Chacun d’entre nous, là où il est aujourd’hui, a fait cette expérience de l’intersection entre ses désirs propres et ses capacités qui viennent en restreindre parfois la réalisation. Chacun d’entre nous a vécu aussi les bourrasques ou les coups de pouce du destin pour réaliser ses vœux les plus chers. Alors pourquoi pas les personnes en situation de handicap ? Ne seraient-elles pas avant tout des personnes ?

Sommes-nous présomptueux ?

Pensons-nous qu’une personne intellectuellement très déficitaire est dépourvue de désirs et de ce fait de projets ? Pensons-nous que notre mode de vie ne résulte pas de l’influence de notre environnement et que les personnes en situation de handicap y seraient plus perméables ? Ne sommes-nous pas à notre tour présomptueux ?
Notre égale humanité, notre égalité devant les droits devraient nous permettre de mieux appréhender ce qui se joue dans la transformation de l’offre.

Aucune articulation

Quand j’ai pris mes fonctions au département de la Manche en janvier 2017, il existait une direction des établissements sociaux et médico-sociaux. J’ai essayé de comprendre comment s’articulaient les connaissances populationnelles entre les diagnostics infra-départementaux, les décisions individuelles prises par la CDAPH et l’organisation de l’offre médico-sociale. Hormis le schéma médico-social unique, aucune articulation n’existait entre ces différents éléments de connaissances du territoire.

Soutenir les parcours individuels de vie

Il m’a semblé important que nous travaillions sur une organisation favorisant l’articulation entre la demande et l’offre. C’est ainsi qu’est né le service d’appui au parcours et à la transformation de l’offre au sein de la maison départementale de l’autonomie. L’offre devait soutenir les parcours individuels de vie. Ce serait mentir que d’affirmer que nous y sommes. Mais chacun de nos actes doit y concourir si nous voulons vraiment répondre aux demandes des personnes en situation de handicap.

Expression des personnes

L’un des objectifs des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (Cpom) est de favoriser l’autodétermination et la participation des personnes accompagnées. Au vu du caractère contractuel du document, il peut être vécu comme une injonction, mais c’est avant toute chose une invitation à s’interroger ensemble sur les conditions de l’expression du choix de vie des personnes en situation de handicap quelles que soient leurs capacités résiduelles et sur les bons outils pour y parvenir.

Singularités de chacun

La question n’est pas celle de l’identité des organisations et de leur objet. La question est celle de l’apport de chacune de nos organisations et de chacun d’entre nous à favoriser le vivre ensemble en tenant compte des singularités de chacun. L’offre de service médico-sociale a un double objet : appuyer les organisations de droit commun dans leur nécessaire évolution inclusive et accroître l’accompagnement des personnes en situation de handicap dans leur capacité à exprimer leurs choix et à les mettre en œuvre.

« J'en ai le droit et l'âge » 

Je me souviens du courriel d’une jeune fille en situation de handicap qui souhaitait passer son permis de conduire dans un autre département où elle était étudiante. Dans le formulaire de demande de dérogation, nous lui demandions pourquoi elle voulait passer son permis. Elle a répondu avec justesse : parce que j’en ai le droit et l’âge. Même si nous sommes à la peine encore aujourd’hui pour répondre dans des délais satisfaisants aux demandes déposées pour la reconnaissance ou le renouvellement d’un droit, nous mettons depuis plusieurs années beaucoup d’énergie à influer sur l’environnement de droit commun pour le rendre plus accessible.

Diverses initiatives 

La multiplication par les communes de demandes de conseil ou de financements pour la réalisation d’aires de jeux inclusives en est un encourageant témoignage ; la mobilisation des acteurs médico-sociaux au service de l’école avant même la création des équipes mobiles à la scolarisation en est un autre ; la participation des personnes accompagnées à la gouvernance des politiques d’insertion soutenues par la Fédération des acteurs de la solidarité Normandie en est un troisième.

Égaux en droits et dignité

Presque cinq années ont passé depuis ma prise de fonctions au sein du département de la Manche. Je suis plus que jamais déterminée à poursuivre cette transition vers une société plus inclusive dont la transformation de l’offre médico-sociale est une des clefs nécessaires et absolues. Nul n’a à y perdre et chacun d’entre nous a à y gagner si nous voulons bien considérer que nous sommes tous égaux en droits et en dignité.

Carnets de bord : deuxième saison

À l'automne 2020, nous ouvrions une rubrique hebdomadaire d'expression libre*. L'objectif est de permettre à des professionnels de raconter le quotidien de leur pratique, de faire réfléchir, voire d'ouvrir des débats. Pendant huit mois, Dafna Mouchenik (aide à domicile), Ève Guillaume (Ehpad), Laura Izzo (protection de l'enfance) et Christel Prado (département et handicap) ont ouvert la voie avec des textes qui vous ont souvent captivés. Elles ont accepté – qu'elles en soient remerciées – de poursuivre l'aventure. Évidemment, cette année ou la prochaine, de nouvelles plumes pourraient les rejoindre. Si ça vous dit, contactez-nous.

* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media Social.

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