menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Article28 avril 2020
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Coronavirus : Korian dans la tourmente

Le coronavirus secoue le premier groupe privé sur le "marché" des Ehpad. Korian a enregistré de nombreux décès dans plusieurs de ses établissements. Sur le terrain, les syndicats se déchirent, les uns dénonçant "le Korian Bashing", les autres les nombreuses erreurs de la direction.

« Tous mobilisés pour nos aînés ». Sur le site du groupe Korian, tout traduit la sérénité et la confiance d'un groupe leader présent dans six pays (dont 20 000 salariés en France) qui enregistre un chiffre d'affaires impressionnant de 3,61 milliards d'euros. Pourtant, les apparences sont trompeuses car Korian est dans la tempête.

36 morts à Mougins

Le symbole de cette crise, c'est l'Ehpad de Mougins, dans les Alpes-Maritimes (un département qui compte 11 Ehpad Korian). Là, l'hécatombe a été particulièrement grave. « Sur les 109 résidents, 36 sont morts depuis le 15 mars », relève Libération dans une enquête parue le 19 avril (1). À Mougins, des absences de personnel, dont le directeur malade pendant deux semaines ainsi que le médecin coordonnateur, ne peuvent tout expliquer. D'autant que cette situation est loin d'être isolée dans le groupe : à Noisy-le-Grand (93), à Thise (Doubs), à Pollionnay (Rhône), mais aussi au Bourget (93), entre 20 et 30 morts ont été enregistrés à chaque fois selon un bilan provisoire. Et puis, pour compléter le tableau, deux membres du personnel sont tombés sur le champ d'honneur : Elisabeth-Rolande, décédée le 6 avril à Mulhouse (la première aide-soignante victime du Covid-19) et Patricia Boulak, disparue le 19 avril en Seine-et-Marne.

Manque de protection ?

Ce premier décès de professionnel en Ehpad a suscité une vive polémique en Alsace. Dans un article des Dernières nouvelles d'Alsace, plusieurs des collègues d'Elisabeth ont dénoncé l'absence de matériel de protection adéquate. « Le souci, c’est que les résidents contaminés du 3e, 4e et 5e étages [là où travaillait Elisabeth, NDLR], ils attendent d’abord qu’ils aient 38-39 de fièvre avant de les descendre. Les filles qui sont dans les étages, elles sont confrontées au Covid sans équipement. Quand on demande à la directrice pourquoi, elle nous dit qu’elle n’en a pas suffisamment et qu’il faut en garder pour les filles du 1er et du 2e ». Une version démentie par la directrice de l'établissement interrogée par France 3 : « Dès le 5 mars, tous les soignants, mais aussi tout le personnel, ont eu le matériel nécessaire. Tous nos salariés qui travaillent dans l'unité Covid ont été équipés de surblouses, de gants, de charlottes, de lunettes et de masque de FFP2. » 

Sept plaintes contre X

À Mougins, l'un des griefs principaux des familles est le manque d'information sur la dégradation de la situation de leur parent. Sept plaintes contre X ont déjà été enregistrées. Dans une enquête fouillée du Monde sur les morts dans les Ehpad, le petit-fils d'une victime de Mougins raconte qu'il « a appris par les pompes funèbres que sa grand-mère était morte. Le jour de son décès, l'Ehpad lui a assuré qu'elle se portait bien même si elle avait été mise sous oxygène. »

Achat massif de masques

La directrice générale du groupe Korian, Sophie Boissard est sortie de sa discrétion médiatique pour reconnaître sur RTL quelques faiblesses : « La violence de l'épidémie a été telle que l'information et les contacts n'ont peut-être pas été ce qu'ils auraient dû être au quotidien. » Dans un communiqué du 24 avril, la direction se défend de toute erreur en termes d'informations des familles ou de fourniture de protection. « En complément d’un stock initial de 300 000 masques, nous avons acheté 2,8 millions de masques chirurgicaux et un million de masques FFP2 pour disposer en permanence d’un stock global de 30 jours de consommation », indique Korian. Réaction d'Albert Papadacci, délégué de la CGT (second syndicat chez Korian) : « Les masques vont arriver début mai. En attendant, les Ehpad se débrouillent comme ils peuvent. »

Korian en avance sur les autres ?

À l’intérieur de l'entreprise, les clivages s'exacerbent. Deux camps syndicaux s'affrontent sans ménagement. L'Unsa (en tête avec 31 % du vote du personnel) s'est alliée avec la CFDT (troisième) pour sortir un tract accusateur daté du 23 avril. « Tout cela [les enquêtes parues, NDLR] est faux ! En effet, l’activation du « plan Vigilance Korian », dans tous les établissements en Europe, a été ordonnée le 25 février, soit 17 jours avant les recommandations des autorités de santé. » Pour preuve de l'étendue des mensonges, les deux syndicats notent qu'aucun salarié n'a fait valoir son droit de retrait.

« Des représentants de syndicats opportunistes » 

Pour l'Unsa et la CFDT, les trois autres syndicats (CGT, FO et Sud) tirent contre leur entreprise. « Ces articles et reportages, systématiquement à charge contre Korian, sont pratiquement tous cautionnés par des représentants de syndicats opportunistes ou alimentés par des témoignages de salariés anonymes dont le seul objectif est de jeter le discrédit sur notre entreprise et notre travail au quotidien. » Ambiance !

Une commission d'enquête parlementaire

Délégué syndical Unsa, Laurent Labarre n'est pas tendre avec ses concurrents syndicaux. Il dénonce la désinformation sur l'Ehpad du Mougins en faisant un historique des informations données par la direction : « Le 3 mars, les familles recevaient une information sur le coronavirus. Le 7 mars, nouvelle info sur les gestes barrières ; le 15 mars sur le premier cas de covid. Et le 16 mars, un signalement était fait auprès de l'ARS. » Il trouve ces accusations très injustes et se déclare favorable à une commission d'enquête parlementaire sur le fonctionnement des Ehpad. Histoire de montrer que les problèmes chez Korian sont loin d'être isolés...

Rationnement de masques

Son collègue de la CFDT Raphaël Berhaeil rappelle qu'au début de la pandémie, les pouvoirs publics ne jugeaient pas utile d'équiper tous les soignants en masque. Il fallait attendre qu'un cas de Covid se déclare dans l'Ehpad... Il reconnaît qu'il y a pu y avoir ici ou là des rationnements de masques. « À partir du 6 février, explique-t-il, j'ai appelé divers établissements. Si un salarié n'était pas protégé,  j'alertais le directeur. J'étais intraitable. »  

Assurer la sécurité des salariés

« La colère monte chez les salariés », affirment, de leur côté, les trois syndicats « contestataires » dans un communiqué commun du 24 avril. « Cette crise sanitaire, écrivent la CGT, FO et Sud, ne doit pas permettre au groupe Korian de s’affranchir de son obligation légale de tout mettre en œuvre pour protéger et assurer la sécurité des salariés. » Le communiqué dénonce également les projets de Korian d'utiliser « les dérogations autorisées par la loi d’urgence : augmentation des heures hebdomadaires jusqu’à 60 h, prise des RTT, modification des horaires… ».

Aux débuts de la pandémie

Déléguée syndicale centrale Force ouvrière, Isabelle Jallais revient sur les débuts de la pandémie. « Mi-février, les visites commencent à être interdites dans nos établissements. Fin février, on retire les masques dans les établissements qui n'ont pas de Covid. À ce moment, on enferme l'ensemble des résidents dans leur chambre, ce qui va alourdir la charge de travail des soignants. »

Des tests et une prime

Tout n'est pas négatif pour autant, estime la déléguée FO. Isabelle Jallais se félicite que la direction a décidé de tester l'ensemble des résidents et soignants. « Cent quatre établissements ont déjà été testés [sur les 308 Ehpad et 83 cliniques, NDLR]. Malheureusement, parfois, il manque de réactif dans les laboratoires. » Elle applaudit également la prime de 1 000 euros annoncée par la PDG de Korian. Mais pas question de réserver cette prime aux seuls soignants ! Tout le monde dans les Ehpad, les cliniques et au siège est sur le même bateau.

« Korian bashing » ?

Avec ses critiques, n'a-t-elle pas l'impression de céder au « Korian bashing » ? « Le droit du travail doit être respecté. Mais penser que nous voudrions détruire l'entreprise, c'est totalement aberrant ! », répond fermement la déléguée FO.  

(1) Depuis, un cas quasiment aussi grave que Mougins s'est déclaré à l'Ehpad de Valdoie (Territoire de Belfort) où 32 décès ont été enregistrés dont celui d'une aide-soignante et le mari d'une soignante. Cet Ehpad est géré par l'association Servir qui compte deux Ehpad et deux Mecs. 

NoëlBOUTTIER
ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres