menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Tribune libre06 décembre 2021
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Aggir et Pathos en Ehpad : des outils d'évaluation inadaptés ?

Dans les Ehpad, une partie du financement est liée aux indications fournies via la grille Aggir ou la coupe Pathos. Avec des exemples tirés de sa pratique, la directrice Eve Guillaume révèle une contradiction entre la mesure de la dépendance et le travail des équipes pour valoriser les aptitudes des résidents.

Il y a quelques semaines, nous avons GIRé tous nos résidents. Un jargon barbare pour qualifier un outil qui permet aux autorités de tarification et de contrôle de calculer une partie de nos dotations. Chaque résident est donc étiqueté de 1 à 6 (du moins autonome au plus autonome), et pour le déterminer, nous remplissons en équipe une grille permettant de définir arbitrairement l’autonomie de chacun.

Plus 2 000 euros !

Il faut nous imaginer dans notre salle de réunion, notre grand écran projetant les dossiers des résidents. La cadre de santé, le médecin, moi-même et deux à trois soignantes qui, à tour de rôle, sont appelées en fonction de leurs résidents référents. À chaque dossier, les mêmes questions : « Est-il autonome pour se servir ? Oui. Vous êtes sûr ? Oui, je crois. Et est-ce qu’il arrive à retirer la languette du yaourt tout seul ? Ah non ! Alors, il n’est pas autonome, on cote C ! ». Chaque fois qu’un résident passe du GIR 5 à 4 ou 3 à 2, je fais tourner la moulinette sur mon tableau Excel et suis les comptes : « + 2000 euros ! ».

Voir les incapacités

Alors que tous les jours, nous pensons les accompagnements des résidents afin de maintenir leur autonomie, de trouver des parades pour contourner certains de leurs handicaps ou parfois de les aider à recouvrir une part de mobilité ou de dextérité, lorsque nous GIRons, nous devons voir l’individu sous l’angle de toutes ses incapacités. Une gymnastique compliquée pour tous et qui souvent dérange l’éthique des soignants.

Jusqu'à l'obsession 

Ce même midi, nous avons déjeuné avec les résidents pour fêter le beaujolais nouveau. Je me suis aperçue que je me mettais à épier chaque résident : Mange-t-il vraiment seul ? Se déplace-t-il vraiment seul ? Est-ce que finalement on ne se serait pas trompé et est ce que l’on n’aurait pas pu quoter Josette encore un peu plus bas ? Cela devient obsessionnel !

Écart avec le ressenti

L’autre problème de l’évaluation GIR, c’est qu’il ne permet pas de valoriser certains accompagnements, qui ne sont pas moins consommateurs d’énergie pour nos soignants. Depuis le début de la crise, les soignantes ne cessent de nous dire que le profil des résidents a changé et que le travail est beaucoup plus lourd. Pourtant, à la fin de notre journée d’évaluation, nous avons constaté une diminution de notre score par rapport à 2019. Cela signifierait que le ressenti des soignants ne se justifie pas.

Lors de l’annonce de ce résultat aux soignants, j’ai vu les épaules tombées en signe de découragement : « Ce n’est pas possible ! ».

Psychiatrie ignorée

Parmi les résidents que nous accueillons, le pourcentage de résidents ayant des pathologies psychiatriques a augmenté (1). Ils sont autonomes dans les actes de la vie quotidienne (la stimulation n’est pas toujours nécessaire), mais pour autant le temps soignant est important à leur côté : négociation, instauration d’un cadre, respect des règles, gestion de l’agressivité… Ces accompagnements ne sont pas du tout valorisés par un outil comme les grilles Aggir.

Manque de moyens criant

En octobre prochain, nous aurons notre coupe Pathos. Un autre outil qui entre aussi dans l’équation tarifaire et qui annonce des mois de préparation non moins passionnante… Il s’agit d’un outil qui peut s’avérer un levier pour le management de la qualité et pour la montée en compétences des équipes. Mais c’est aussi un outil paradoxal : pendant plusieurs mois, on demande aux agents de tracer tous les accompagnements pour « évaluer » les besoins en soins requis. Cela se conclut systématiquement par une mise en lumière du manque de moyens criant. Redoubler d’efforts pendant six mois pour espérer des postes supplémentaires… À suivre !

(1) Lire une précédente chronique

Carnet de bord : seconde saison !

À l'automne 2020, nous ouvrions une rubrique hebdomadaire d'expression libre*. L'objectif est de permettre à des professionnels de raconter le quotidien de leur pratique, de faire réfléchir, voire d'ouvrir des débats. Pendant huit mois, Dafna Mouchenik (aide à domicile), Ève Guillaume (Ehpad), Laura Izzo (protection de l'enfance) et Christel Prado (département et handicap) ont ouvert la voie avec des textes qui vous ont souvent captivés. Elles ont accepté – qu'elles en soient remerciées – de poursuivre l'aventure. Évidemment, cette année ou la prochaine, de nouvelles plumes pourraient les rejoindre. Si ça vous dit, contactez-nous.

* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media Social.

EveGUILLAUME
ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres