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Interview02 juillet 2020
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Pierre Henry : « Il faut mener le combat de l'ouverture à l'autre »

Le directeur général de France terre d'asile tire sa révérence après 24 années de responsabilités. Pour Le Media Social, Pierre Henry revient sur les évolutions des politiques migratoires et le fonctionnement de son organisation. Libres paroles.

En France, où les débats sur la question migratoire sont particulièrement animés, la figure de Pierre Henry, le DG de l'organisation France terre d'asile, s'est imposée. Il apporte une partition nuancée – qui suscite beaucoup de critiques – mêlant un plaidoyer pour les valeurs de l'accueil de l'étranger et une défense des prérogatives de l'État en matière de régulation des flux migratoires. En septembre, Pierre Henry cédera sa place à Delphine Rouilleault, sa benjamine de 25 ans. Une nouvelle ère pour France terre d'asile. Mais il ne rend pas pour autant son tablier. Dans son bureau déjà encombré de cartons, il livre réflexions et confidences.

Dans quel état d'esprit abordez-vous votre départ de France terre d'asile ?

Pierre HenryDepuis le début, j'ai toujours voulu avoir un rapport de plaisir au travail. Cela ne peut pas être autrement. Diriger une organisation de 1 100 salariés et gérer les relations avec les pouvoirs publics, c'est une énorme charge mentale. Au bout de 24 ans de direction, j'ai besoin de me réinventer et d'innover.

Et quels conseils donneriez-vous à votre successeur ?

P. H.Je vais éviter de lui donner des conseils. La seule chose que je veux dire, c'est qu'il faut avoir le sens de l'équilibre : être dans le plaidoyer et en même temps, négocier avec les pouvoirs publics.

Revenons sur le quart de siècle que vous avez vécu aux commandes de l'organisation. Qu'est-ce qui a profondément changé ?

P. H.Nous avons assisté à une accélération des tensions autour de la question migratoire. L'accueil renvoie à une notion de partage des ressources disponibles. Et aujourd'hui, nous sommes entrés dans un cycle culturel très préoccupant. En France avec Le Pen (crédité dans les sondages pour la présidentielle de 2022 de 45 % des voix), aux États-Unis avec Trump, au Brésil avec Bolsonaro, nous sommes en présence d'un très fort courant populiste. Même dans les catégories bien éduquées, il y a souvent la recherche de boucs émissaires. Dans le même temps, il y a un grand besoin d'accueil. Selon un rapport récent du HCR, 80 millions de personnes sont déplacées dans le monde, soit deux fois plus qu'il y a dix ans.

Que faut-il faire alors ?

P. H.Il faut mener un combat essentiel, celui de l'ouverture à l'autre. Cela suppose de partager les richesses et de transmettre les valeurs du pays d'accueil. Il faut bien voir qu'il y a un vrai dualisme entre opposants et partisans de l'accueil.

Dans ce contexte, les pouvoirs publics sont-ils à la hauteur ?

P. H.J'ai un énorme regret qui s'appelle l'Europe. En 1999, il y avait un sommet européen qui devait harmoniser les politiques européennes. Eh bien, il n'y a eu aucune convergence sur le statut des réfugiés. Le règlement de Dublin [en 2003, NDLR], ce n'est rien d'autre que la politique de la patate chaude. Les vieux pays de l'Europe ont inventé un système qui transfère l'accueil des migrants aux nouveaux pays qui sont aux frontières de l'Union. Les militants européens de l'accueil ont essuyé un vrai échec.

Et en France, comment ça s'est passé ?

P. H.Les politiques surfent sur les grands mouvements de l'opinion. Autre problème : dans le personnel politique, il existe très peu de responsables politiques qui travaillent sur la question migratoire. C'est trop souvent le café du commerce, avec la toute-puissance des émotions. Dans l'opinion publique, il n'est pas très porteur électoralement de se présenter avec l'étiquette de spécialiste des questions migratoires.

Vous avez côtoyé des dizaines de ministres de l'Intérieur. Certains sortent-ils du lot ?

P. H.Je ne peux citer que deux ministres de l'Intérieur de bon niveau. D'abord, Jean-Pierre Chevènement sous Lionel Jospin. Il avait des pensées sur l'ensemble des enjeux, y compris celui de l'intégration. La dernière grande régularisation de personnes immigrées concernant 90 000 personnes a eu lieu à cette période. Bernard Cazeneuve, ministre sous Manuel Valls, a toujours dialogué. Il se posait beaucoup de questions sur ces enjeux. C'est lui qui a organisé l'évacuation du camp de Calais avec une mise à l'abri des personnes. Ensuite, la gestion de la situation a été plus complexe.

Vous n'avez cité aucun ministre de droite. Est-ce à dire que le clivage gauche/droite est pertinent sur cette question ?

P. H. (Longue hésitation) La tentation à instrumentaliser cette question est plus forte à droite. Les ministres de l'Intérieur Nicolas Sarkozy ou Brice Hortefeux, ainsi que le ministre de l'Identité nationale Éric Besson ont excellé dans ce registre. Mais je n'oublie pas non plus la grave erreur de François Hollande en voulant mettre sur le tapis la question de la déchéance de la nationalité.

Revenons à France terre d'asile. Sur quelle base avez-vous dirigé cette organisation ?

P. H.Première chose : j'ai toujours eu en tête l'intérêt de l'usager. D'autre part, il faut savoir que France terre d'asile est financé à 99 % par l'État. Cela ne signifie pas que nous soyons dépourvus d'indépendance.

Mais tout de même, vous avez souvent été considéré comme le bras armé de l'État…

P. H.Pour ma part, je n'ai jamais considéré l'État comme un adversaire, mais comme un partenaire. Et je n'ai pas constaté que la confrontation frontale avec les pouvoirs publics amène des progrès pour les étrangers.

Vous avez l'air de considérer que les divers collectifs militants ne sont d'aucune utilité…

P. H.Dans une société démocratique, chacun a sa place et les collectifs mènent des combats utiles pour des avancées dans le droit. L'idée développée par certains que nous serions entre la main des pouvoirs publics est grave. Je n'oublie pas que c'est l'objectif de certains politiques. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Éric Besson avait expliqué que nous devions obéir dans la mesure où nous touchions des aides de l'État.

Pour finir, je vais convoquer votre mémoire. Quel a été votre meilleur souvenir pendant ce quart de siècle ?

P. H.L'accueil des Kosovars à la fin des années 90 a suscité une mobilisation extraordinaire dans toute l'Europe. Des années plus tard, je croise un jour, dans la rue, un réfugié. Il me dit : « Bonjour. Vous ne me reconnaissez pas, mais vous m'avez ouvert la porte et maintenant, je suis là avec ma famille. » C'était très émouvant.

Je ne peux m'empêcher de me demander quels sont vos ressorts personnels ?

P. H. (Hésitation) C'est très intime. Je préfère ne pas en parler.

Et votre pire souvenir ?

P. H.Il n'y a pas de pire souvenir. Après, vous savez, la vie d'une organisation est forcément compliquée. Si, il y a les accusations dont j'ai été victime en 2013. Cela reste une blessure intime.

Et maintenant, qu'allez-vous faire de votre retraite ?

P. H.Je ne me sens pas en retraite. Je n'aurai pas de période d'inactivité. Je vais avoir des activités d'enseignement. Je suis déjà président de l'association France fraternités qui promeut l'éducation populaire et la solidarité. Par ailleurs, je suis ouvert à d'autres projets. Par exemple, j'aimerais créer un « quart lieu » qui mêle diverses activités comme la restauration, les liens intergénérationnels ou les pratiques sportives.  Cela se fait par exemple chez Habitat et humanisme. Dans une société qui a tendance à se morceler, on a besoin de lieux ouverts.

Et la politique ? Vous avez été candidat sur la liste de Cédric Villani aux municipales…

P. H.J'ai envie de faire de la politique. Mais vous savez, cela fait 24 ans que je fais de la politique en étant DG de France terre d'asile. Comment me définir ? Je suis républicain et progressiste.

Propos recueillis par NoëlBOUTTIER
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