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Interview22 avril 2020
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Michèle Delaunay : "Les politiques sont infoutus de parler du grand âge"

L'ancienne ministre sous François Hollande n'a rien lâché de sa passion pour la question du vieillissement. Dans un entretien très libre, Michèle Delaunay revient sur un tas de questions sensibles : les Ehpad, la mortalité des âgés, la fin du confinement, etc. Elle parle également des politiques face au défi de l'âge.

« Vous m'appelez quand vous voulez. Je suis confinée. »  Au bout du fil, même après trente-cinq jours d'immobilité, Michèle Delaunay qui court d'ordinaire les colloques et tables rondes par tous les temps est toujours la même : passionnée par les échanges, précise et en même temps lyrique, passionnée et... taquine. Elle n'est jamais la dernière à vous raconter une anecdote. En 2019, elle a publié un livre grouillant d'idées sur les baby-boomers (lire notre article), un thème qu'elle affectionne parmi tout. 

Avec elle, nous revenons sur près de deux mois de crise sanitaire, avec ses retards à l'allumage à répétition. Implacable, jamais partisane, de son domicile bordelais, Michèle Delaunay propose son regard acéré dans cette interview très libre (elle n'a pas demandé à la relire, comme c'est souvent l'usage).  

Depuis le début de la crise, vous vous êtes déjà imaginé redevenir ministre ?  

Michèle DelaunayC'est une question piège que vous me posez. Je m'imagine souvent ministre, ne serait-ce que parce que je n'ai pas pu faire l'acte 2 de la loi sur l'adaptation au vieillissement, le volet concernant les établissements. Je ronge mon frein surtout quand je constate que nous vivons une crise d'invisibilité des âgés.

Que voulez-vous dire exactement ?

M.D.Ce qui me frappe, c'est qu'il manque totalement de paroles de soutien, notamment présidentielle, vis-à-vis des âgés qui sont en première ligne de la pandémie. On ne parle pas à cette population, on ne l'implique pas, on ne la valorise pas.

Cette situation est-elle liée à la mandature actuelle ?

M.D.Non, pas du tout, cette situation est un grand classique politique. Dans l'histoire récente, il y a eu très peu de ministres chargés des personnes âgées. Et souvent, les secrétaires d'État qui étaient en charge des âgés avaient des compétences plus larges. La prise de conscience de l'existence de ce corps social est très faible.

Je vais vous raconter une anecdote concernant l'ancien président de la République. Un jour où je plaidais devant lui pour faire exister ma loi, François Hollande eut cette réflexion : « Ce n'est pas dans mes engagements immédiats ». Il pensait à la priorité de son quinquennat pour la jeunesse. Et moi, je lui ai répliqué : « J'ai un scoop pour vous. Tous les Français n'ont pas des enfants, mais 100 % des Français ont des parents et des grands-parents ». Peu de temps après, la gauche a perdu les élections départementales [en 2015, NDLR]. L'issue électorale n'aurait pas été la même si l'APA avait été augmentée rapidement de 30 %, comme je le proposais. 

Revenons à la crise sanitaire actuelle. Certains membres de la majorité ont relevé que la réduction drastique des stocks de masques avait eu lieu sous le quinquennat Hollande où vous avez été ministre...

M.D.Je n'étais pas du tout impliquée sur ce dossier. Je n'ai pas participé à des réunions interministérielles sur ce sujet. J'étais sous l'autorité de Marisol Touraine qui s'est révélée une vraie ministre de tutelle. À ce propos, j'ai dit une fois que « vu mon âge, une curatelle aurait suffi. » J'espérais avoir le prix de l'humour politique avec cette formule...

Plus sérieusement, j'ai entendu les démentis de Marisol Touraine par rapport à une décision qu'elle aurait prise pour réduire les stocks de masques. Je pense que cette ministre rigoureuse aurait dû être informée d'une telle décision. Il est probable qu'elle ait pu l'être...

Comment ont été considérés les Ehpad dans cette crise sanitaire ?

M.D.Au regard de la mortalité des âgés, les Ehpad auraient dû être en première ligne. Cela n'a pas été le cas. Il a d'ailleurs fallu plusieurs semaines pour prendre en compte les morts du Covid-19 en établissement. Et je considère que les chiffres communiqués chaque jour ne correspondent pas à la réalité des décès. En effet, les personnes décédées à l'hôpital, mais arrivées tout juste de l'Ehpad, ne sont pas comptabilisées dans le contingent Ehpad. Selon des estimations officieuses, un tiers des décès à l'hôpital vient directement de l'Ehpad, si bien qu'on peut dire qu'un mort sur deux du coronavirus est un pensionnaire d'Ehpad. Au 22 avril, les Ehpad auraient ainsi perdu dix mille de leurs résidents.

Parmi les Ehpad qui ont connu la plus grosse mortalité (parfois 20 ou 30 décès), on retrouve beaucoup d'Ehpad commerciaux. Que vous inspire ce fait ?

M.D.Sur Twitter où je suis suivie sur mes différents comptes par 45 000 followers, j'ai demandé que soit réalisée, après la crise, une analyse très précise des morts en Ehpad selon leur propre statut juridique, public, associatif ou commercial. 

En même temps, il faut reconnaître que quand le virus rentre dans un Ehpad, il cause de gros dégâts. Mais je le dis sans aucun esprit partisan, les mesures dans les Ehpad ont trop tardé. Les ministres se sont seulement focalisés sur les questions de santé et d'hôpital. Il y a eu un retard de prise en compte de la mortalité. Ah, s'il y avait eu une « pétroleuse » au gouvernement !

Pourtant, Agnès Buzyn s'était adjoint les services d'une nouvelle secrétaire d'État, girondine comme vous...

M.D.Quand Christelle Dubos a été nommée secrétaire d'État auprès de la ministre, elle devait s'occuper de tous les domaines, m'avait dit Agnès Buzyn. Mais il fallait une ministre des personnes âgées. Je parle au féminin car c'est un secteur totalement féminisé. Il fallait quelqu'un de poids et de passion. Christelle Dubos, manifestement, cela ne suffisait pas ! 

Mais qu'aurait pu faire un ministre ad hoc ?

M.D.Là nous sommes dans un combat entre la vie et la mort. Les Ehpad, c'est là où ça brûle. Il faut dire des choses à l'intérieur du gouvernement.

Manifestement, Agnès Buzyn n'a pas su se faire entendre...

M.D.Agnès Buzyn, je le sais, est une grande politique, mais elle a dû être trop prudente. Je suis persuadée qu'elle a alerté le gouvernement, connaissant bien les données scientifiques. Elle n'a voulu rien dire aux journalistes sans doute pour ne pas prendre le risque de déstabiliser le gouvernement.

Sauf que le gouvernement, elle l'a quitté en février pour rejoindre la campagne électorale...

M.D.Elle a eu tort d'accepter cette candidature à Paris. C'est regrettable ! On ne quitte pas un navire dans la bataille.

Revenons sur une polémique qui a fait suite à l'allocution présidentielle du 13 avril. Faut-il continuer à confiner les personnes âgées ?

M.D.Pour ma part, je ne souhaitais pas de barrière d'âge à partir du début du déconfinement. Je n'imaginais pas que des policiers guettent les cheveux blancs dans les rues pour leur infliger une amende de 135 €. Mais je n'oublie pas que je suis médecin. Et ce que je sais, c'est qu'une personne âgée, même en bonne forme, a un système immunitaire beaucoup plus faible. Alors, ma proposition, c'est de prendre conseil auprès de son médecin traitant et ensuite de décider en responsabilité son attitude par rapport aux sorties. Vous voyez, dans cette affaire, l'avis du médecin que je suis l'a emporté sur celui de la baby-boomer que je suis également.

Pourquoi cette difficulté des pouvoirs publics à se faire comprendre des âgés ?

M.D.  La plupart des politiques sont infoutus de parler du grand âge. Je me souviens d'Alain Juppé, alors maire de Bordeaux (j'étais conseillère municipale) dire : « Les personnes âgées sont actives. » Et moi j'ajoutais : « Comme vous et moi ». Il n'appréciait pas. Je considère que c'est de l'âgisme de ne pouvoir parler à cette catégorie de la population.

Et la loi sur le grand âge ?

M.D.Elle va s'imposer. Emmanuel Macron qui est devenu très social va prendre cette loi sur le grand âge comme un élément de rassemblement des Français : 100 % d'entre eux ont des parents !

Et pour finir, une question personnelle : n'avez-vous pas eu envie de reprendre du service en tant que médecin ?

M.D.Bien sûr que j'en ai eu envie ! Mais de toute façon, ce n'était pas possible. Pour intégrer la réserve sanitaire, il faut être à la retraite depuis moins de cinq ans...

NoëlBOUTTIER
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