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Les travailleurs sociaux face aux enjeux de la précarité énergétique

Longs FormatsAurélie VION15 février 2021
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La précarité énergétique est un phénomène croissant, reconnu comme tel depuis peu. À son égard, les travailleurs sociaux ont leur rôle à jouer, en matière de repérage et d’accompagnement. Mais ils doivent composer avec le manque de coordination, les divers dispositifs et une action publique insuffisante pour l'éradication des passoires énergétiques.

Être obligé de dormir à plusieurs dans une seule pièce l’hiver pour avoir moins froid, calfeutrer portes et fenêtres, s’endetter pour payer des factures d’énergie exorbitantes… La précarité énergétique n’est pas un phénomène nouveau.

Une notion récente

Ce n’est pourtant qu’il y a dix ans que cette notion a été définie dans la loi : « Est en situation de précarité énergétique […] une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat », stipule l’article 11 de la loi du Grenelle II du 12 juillet 2010.

Différents profils

Isolde Devalière pilote l'Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) DR

« Pour englober le phénomène qui recouvre des réalités différentes, nous avons identifié plusieurs profils », explique Isolde Devalière, qui pilote l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), mis en place dans la foulée du Grenelle.

« Il y a tout d’abord les personnes qui ont des factures d’énergie très élevées parce qu’elles vivent dans des logements mal isolés et qu’elles disposent de peu de ressources. Nous pouvons les identifier avec le taux d’effort énergétique (TEE) : si l’énergie dépasse 8 % de l’ensemble des dépenses du ménage, on peut les considérer en précarité énergétique », poursuit Isolde Devalière.

Le froid ressenti

Deuxième profil : « Les personnes qui renoncent à se chauffer ou contrôlent à l’extrême leurs consommations et qui ont froid. Pour elles, nous pouvons nous baser sur l’indicateur du froid ressenti. »

Troisième critère : l’indicateur « bas revenus dépenses élevées » (BRDE), qui prend en compte les ménages qui basculeraient sous le seuil de pauvreté s’ils chauffaient correctement leur logement.

6 millions de ménages

C’est la combinaison de l’ensemble de ces données issues de plusieurs sources différentes (1) qui permet de mesurer la précarité énergétique qui touche en France 6 millions de ménages. Le phénomène ne recule pas. Alors que le taux de pauvreté reste stable (14 % de la population française selon l’Insee), le prix des énergies, lui, augmente.

Conséquence directe : la hausse du nombre d’impayés. En 2019, 671 546 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie (réduction de puissance, suspension de fourniture, résiliation de contrat) alors qu’ils étaient 549 387 en 2017.

De nombreuses aides...

Faute de moyens suffisants et de logements bien isolés, certaines personnes renoncent à se chauffer ou contrôlent à l'extrême leurs consommations. Ljubisa Danilovic

Pour soutenir les ménages concernés, il existe de nombreuses aides : le chèque énergie (qui remplace depuis 2018 les tarifs sociaux de l’énergie), le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) délivré par les départements, les aides des centres communaux et intercommunaux d’action sociale (CCAS ou CIAS), de la CAF/MSA, des organismes de retraite complémentaire ou d’associations caritatives…

...qui varient d’un territoire à l’autre

Au Secours catholique, les aides distribuées pour l’énergie arrivent juste après les aides alimentaires. « L’enveloppe a doublé entre 2003 et 2013. Le montant continuait chaque année de croître mais nous avons décidé en 2014 de ne plus les augmenter car le Secours catholique ne dispose pas d’un budget extensible. Notre priorité est de mener une action de plaidoyer auprès des pouvoirs publics et des énergéticiens », indique François Boulot, chargé de mission « précarité énergétique » de l'association.

Augmenter le chèque énergie

L’une des priorités serait selon lui d’augmenter le montant du chèque énergie : « La moyenne qui tourne autour de 200 € est notoirement insuffisante quand on sait que la facture énergétique annuelle se situe autour de 1 400 à 1 500 €. Nous demandons qu’il soit porté à 500 € pour les ménages en situation de grande pauvreté. »

François Boulot pointe un autre problème : « Les départements sont libres de fixer les conditions d’attribution du FSL et le montant des aides peut varier d’un facteur allant d’un à quatre d’un territoire à l’autre. Certains départements limitent à une aide FSL par an, d’autres à deux... »

Non-recours

Avril 2019, à l'occasion de la campagne d’envoi des chèques énergie, Emmanuelle Wargon, ministre déléguée en charge du logement, visite, dans l'Oise, une famille dont le domicile a fait l’objet d’importants travaux de rénovation énergétique. Préfecture de l'Oise

Autre difficulté : le non-recours. Au Secours catholique, près de 25 % des bénéficiaires potentiels du chèque énergie n'en ont pas fait la demande, du fait de la complexité du courrier envoyé. Un constat partagé par Marie Moisan, animatrice du réseau des acteurs de la pauvreté et de la précarité énergétique dans le logement (Rappel) qui regroupe un millier de membres.

« Le nombre de demandes de FSL est stable, voire diminue. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle car les départements ont eu tendance ces dernières années à durcir les conditions d’attribution. Sachant qu’il est difficile d’obtenir le FSL et de peur de créer de faux espoirs auprès des ménages en difficulté, certains travailleurs sociaux peuvent d’eux-mêmes renoncer à constituer des dossiers. »

Une rénovation trop lente

Mais même si ces aides financières permettent d’apporter un coup de pouce, elles ne permettent pas de s’attaquer au fond du problème : la rénovation des logements énergivores.

Et là encore, il existe tout un panel de dispositifs : les aides de l’Agence nationale de l'habitat (Anah) - en particulier le programme Habiter Mieux -, les certificats d’économies d’énergie, les éco-prêts à taux zéro, le dispositif MaPrimeRénov que le gouvernement a souhaité élargir dans le cadre du plan de relance, en promettant d’allouer 2 milliards d’euros en 2021 et 2022 pour la rénovation des logements du parc privé, et 500 millions pour les logements sociaux.

Des craintes