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Tribune libre28 septembre 2022
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"L’Ehpad, où on écoutera les Stones plutôt que Trenet, s’invente aujourd’hui"

Deux ans de crise sanitaire, un tsunami littéraire et médiatique, une flambée inflationniste, le monde des Ehpad est secoué. Muriel Brajon, directrice d'établissements pour personnes âgées dans l’Hérault, estime urgent de redonner envie aux professionnels d'y travailler et aux aînés d'y vivre et mourir dignement.

Après des décennies au service de nos aînés, nos vieux, nos anciens… (quel que soit le nom qu’on leur prête, ce sont nos grands-parents, nos parents, vous, nous, moi, demain), je suis taraudée par le doute depuis quelques mois.

Des avancées formidables

Le secteur des maisons de retraite – devenues Ehpad – a connu des avancées formidables. Nous avons fait des pas de géants. Des sections de cure médicale aux conventions tripartites en passant par les Cpom, moult rapports nourris et magnifiquement argumentés, certains trônant encore bien en vue pour ne pas oublier l’essentiel des réflexions et objectifs proposés.

Il y a quelques années encore, ayant la chance d’avoir un financement public dit « global », je m’avançais un peu, disant que nous y étions presque, que les professionnels auprès de nos résidents commençaient à y être en nombre, divers, formés, souvent investis, et si nous nous en donnions le temps, sensibilisés à nos pratiques et à notre réflexion éthique de l'accompagnement.

Rien ne va plus

Et puis patatras. Deux ans de crise sanitaire, un tsunami littéraire et médiatique, une flambée inflationniste, et rien ne va plus.

Bien sûr, dans ce nouveau monde que nous traversons, il faut trouver un ou des responsables au malheur, comme dirait le professeur de philosophie, Éric Fiat. Dans ce monde du soupçon, le directeur peut avoir sa part de responsabilité. Et personnellement, je l’accepte. Parfois trop, souvent pas assez, un peu tard ou pas assez tôt, pour trop peu, ou sans doute assez mal… (nous) j’ai sans doute fait de mauvais choix.

Un vrai changement de regard

Mais alors que faire ? Continuer à croire qu’en l’état tout est encore possible ou appeler de nos vœux un vrai changement de regard sur nos maisons, nos métiers, nos aînés. Je pencherai pour l’option deux.

Mais nous ne pourrons pas construire l’Ehpad de demain tout seul. Et à cette heure, au chevet de nos résidents, nous sommes de moins en moins nombreux, pas suffisamment formés, et surtout trop peu « imprégnés » de nos pratiques. La « grande démission » et la crise des « vocations » (je n’aime pas particulièrement ce terme) nous ont lourdement touchés. Et nous avons besoin d’aide.

Des moyens

Il nous faut bien sûr des moyens, mais bien au-delà, il nous faut des dispositifs de formation en urgence (promotion de la VAE, formations courtes et qualifiantes déjà existantes…), un changement de paradigme total pour valoriser nos métiers. Il nous faut une loi, un plan, un CNR [conseil national de la refondation] ou un PLFSS d’envergure… Ce n’est pas à moi d’en juger.

Chacun a son rôle à jouer

Mais d’où je vous parle, après plus de 3 000 personnes âgées accueillies, avec leurs proches et leurs histoires de vie ; après plus de 500 personnes accompagnées vers la mort, et parmi eux des êtres chers ; après plus de 2 000 professionnels recrutés, entendus, écoutés ; après des dizaines de congrès et de colloques ; je ne peux pas croire qu’il faille baisser les bras.

L’envie ne s’impose pas, elle se nourrit. Et l’envie, pour nombre de professionnels de nos métiers, n’y est plus ou n’y est pas.

L’Ehpad de demain, celui où on écoutera les Rolling Stones plutôt que Charles Trenet, où on viendra passer le week-end pour soulager ses proches, celui où on pourra faire ses courses en ligne, celui où l’on envisagera tout simplement de venir, de vivre et mourir selon son souhait, cet Ehpad (qui ne portera sans doute plus ce nom), celui-là s’invente aujourd’hui. Mais nous ne l’inventerons pas seuls. Chacun a son rôle à jouer.

À lire également, Assises des Ehpad : la sortie du brouillard, c'est pour quand ?

Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

MurielBRAJON
Directrice d'Ehpad
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