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Tribune libre19 janvier 2024
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Le Pen présidente : que feraient les travailleurs sociaux ?

La victoire du RN aux élections présidentielles et législatives de 2027 n’est plus un scénario improbable. Que feraient les travailleurs sociaux si Marine Le Pen arrivait au pouvoir ? Dans cette tribune libre*, Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, entrevoit différents scénarios.

Avec la dernière loi immigration, le monde du travail social a eu un aperçu de l’impact concret des idées du Rassemblement national (RN) sur les aides sociales. Depuis le vote du texte, nous avons vu poindre deci delà, les premiers actes de résistance contre son application.

D’où mon interrogation : si Marine Le Pen remporte les élections présidentielles en 2027 et les élections législatives dans la foulée, et que le RN met en œuvre le principe de préférence nationale, ce qui exclurait des milliers d’étrangers en situation régulière des aides sociales, que feront les acteurs du travail social ?

Une hypothèse tout à fait probable

Évidemment, l’avenir n’est jamais écrit d’avance, mais aujourd’hui, la victoire du RN aux élections présidentielles et législatives n’est plus un scénario improbable. Partout dans le monde, les démocraties propulsent à leur tête des leaders illibéraux et souverainistes dont les discours simplistes répondent aux attentes de sécurité des peuples : Italie, Suède, Hongrie, Brésil, Argentine, États-Unis. Les récents sondages d’opinion laissent entendre que la victoire du RN est désormais possible en 2027.

Exit, Voice, Loyalty

Le célèbre modèle d’Albert Hirschman des types de réactions face au changement du système organisationnel dont on est partie prenante, identifie trois comportements.

Exit : on quitte le système auquel on appartient parce qu’on désapprouve le changement.

Voice : on désapprouve le changement, mais on reste dans le système et on entre en résistance pour le changer.

Loyalty : on se conforme au changement parce qu’on l’approuve.

À partir du modèle d'Hirschman, on peut imaginer cinq types de réaction des acteurs du travail social en cas de victoire du RN en 2027. Les loyaux « ravis », les loyaux « rationalisateurs », les « exiteurs », les voice « indignés et après ? », les voice « résistants ».

« Les rationalisateurs »

Les rationalisateurs s'accommoderont de la mise en œuvre des idées du RN et ils trouveront des avantages secondaires inattendus. Ils penseront que finalement, le Rassemblement national est arrivé au pouvoir selon les règles de notre démocratie et que si l’application de la préférence nationale est le résultat du vote du parlement, il n’y a rien à dire.

Ironie du sort, ceux d’entre eux qui réclament des places d’ESSMS supplémentaires depuis des années pourraient même voir leurs vœux exaucés. Pour créer des places, pas besoin de dépenses supplémentaires, il suffit d’en exclure des milliers d’étrangers en situation régulière.

Dans la même veine, celles et ceux qui refusent le principe de désinstitutionnalisation promu par les instances internationales, comme l’UE, le conseil de l’Europe et l’ONU, seront vraisemblablement satisfaits de la position du nouveau gouvernement. En effet, en bon souverainiste, l’exécutif fera fi des contraintes supranationales, et on peut penser qu’en bon parti traditionaliste, il privilégiera les places en institution au projet de société inclusive aux relents wokistes.

« Les ravis »

On est tenté de penser spontanément que l’arrivée au pouvoir du RN serait un cataclysme éthique pour tous les acteurs du travail social. Les réactions d’indignation unanimes des associations du secteur face à la loi immigration, relatées dans un article du Media social autitre évocateur : « les associations vent debout contre le projet de loi immigration », semblent confirmer cette hypothèse. Mais qu’en est-il véritablement ?

Il ne s’agit là que des réactions des responsables nationaux des associations. La sociologie de l'électorat du Rassemblement national est-elle si différente chez les acteurs du travail social ? À propos des idées du RN, qui connaît par exemple l’opinion des gestionnaires des petites associations notamment rurales ? Qui connaît l’opinion des jeunes générations de travailleurs sociaux ?

Une enquête montrerait peut-être qu’un pourcentage non négligeable d’acteurs du travail social est favorable aux idées de ce parti. Ces acteurs seront ravis de la victoire de ce dernier.

« Les exiteurs »

De nombreux travailleurs sociaux choisiront probablement de quitter le travail social pour ne pas avoir à appliquer une politique totalement incompatible avec leurs valeurs. On assistera peut-être même à des tentatives de reconstruction de l’action sociale en dehors des cadres légaux habituels, sous forme de bénévolat, et sans utilisation des budgets publics pour échapper à la contrainte insupportable des politiques officielles.

« Les indignés et après »

Si le Rassemblement national prend le pouvoir en 2027, la grande majorité des travailleurs sociaux exprimeront leur indignation avec force. L’indignation a une vertu, elle permet de sauvegarder sa cohérence cognitive interne quand le réel est incompatible avec les valeurs auxquelles on croit. « Je respecte le cadre réglementaire parce que je n’ai pas le choix, mais c’est dégueulasse !! »

En s'indignant, les travailleurs sociaux pourront avoir le sentiment de ne pas trahir les valeurs auxquelles ils croient. « Indignez-vous », disait le titre du célèbre ouvrage de Stéphane Hessel. « Indignez-vous et après ? », pourrait être la suite de l’ouvrage. En se contentant de s’indigner, on sauve la face, mais on ne change pas le réel ou si peu.

« Les résistants »

Comme indiqué en introduction, les premiers actes de résistance ont déjà eu lieu en réaction de l'application des idées du Rassemblement national via la loi immigration. Des conseils départementaux à majorité socialiste ont annoncé qu’ils continueraient à verser les aides sociales aux personnes âgées étrangères privées de leur droit.

La Fédération des acteurs de la solidarité a engagé un bras de fer avec l’exécutif en indiquant qu’elle cessait de coopérer avec la puissance publique jusqu’à nouvel ordre. Enfin, on attend la réponse du Conseil constitutionnel dont la petite marge d’interprétation des principes constitutionnels permet également une forme de résistance.

En cas de prise de pouvoir par le Rassemblement national une multitude de procédés de résistance verra le jour. À nouveau, ironie du sort. Alors qu’il est aujourd’hui en berne, les résistants verront leur sentiment de sens au travail décuplé en participant à une œuvre collective de lutte politique pour la préservation du principe de fraternité universel.

Ces dernières années, nous avons vu à quel point le monde est devenu incertain. La victoire du RN est possible, mais nullement garantie. Seul l’avenir nous dira si en 2027 vous aurez à choisir entre réagir comme un ravi, un rationalisateur, un exiteur, un « indigné et après » ou un résistant.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Jean-LucGAUTHEROT
Ingénieur social
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