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La justice des mineurs bientôt réformée

Longs FormatsFlore MABILLEAU06 février 2020
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Le 1er octobre 2020, un nouveau code de justice pénale des mineurs entrera en vigueur. Une réforme voulue par la garde des Sceaux pour améliorer les réponses judiciaires apportées aux moins de 18 ans et limiter leurs détentions provisoires. Mais qui reste fortement critiquée par une partie des magistrats, des avocats et des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

À 75 ans, c’était ce mois-ci son dernier anniversaire. L'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante est en passe d’être réformée ; dès le premier octobre 2020, un nouveau « code de la justice pénale des mineurs » entrera en vigueur après avoir été examiné au Parlement. Une réforme « nécessaire », a expliqué la garde des Sceaux Nicole Belloubet dans son discours du 28 novembre 2019, et dont elle a fait « une de ses priorités ».

Nicole Belloubet, garde des Sceaux, assure avoir fait de cette réforme une priorité. Bertrand Guay/AFP

« L’ordonnance de 1945 a subi pas moins de 39 modifications depuis son entrée en vigueur », rappelle Madeleine Mathieu, directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) (1). « À chaque fois, elle a été réécrite de façon ponctuelle, dans des orientations différentes, voire divergentes. Et au fur et à mesure, le texte a fini par manquer de cohérence et de lisibilité […]. L’ordonnance est ainsi devenue illisible pour tous les intervenants dans la justice des mineurs ».

« L'amélioration des réponses judiciaires »

Cette réforme qui conserve, selon la garde des Sceaux, les principes de la justice des mineurs avec « la primauté de l'éducatif sur le répressif, l'atténuation de la responsabilité pénale, le recours à des juridictions et procédures spécialisées », vise à « l'amélioration des réponses judiciaires » et à « la limitation de la détention provisoire des mineurs ».

Car les moins de 18 ans sont de plus en plus nombreux à dormir en prison, dans les quartiers mineurs des maisons d’arrêt ou dans les établissements pénitentiaires pour mineurs créés en 2002 : ils étaient 801 en octobre 2019, selon les statistiques du Ministère, dont 77,5 % en détention provisoire. Des chiffres en augmentation sur plusieurs années malgré une délinquance stable.

La prison comme dernier recours

« C'est trop. L'emprisonnement doit rester l'ultime recours », avance Nicole Belloubet. Un constat largement partagé par les professionnels du secteur. Pourtant, la réforme ne convainc pas, loin de là, une partie des magistrats, éducateurs de la PJJ ou encore avocats, qui déplorent un code « au rabais » passé par la voix des ordonnances.

Étienne Lesage, avocat, responsable du groupe de travail « droit des mineurs » du CNB. DR

Deux syndicats de la PJJ, le SNPES-PJJ/FSU et la CGT-PJJ ont d’ailleurs lancé une grève, le 11 septembre dernier, pour contester l’abrogation de l’ordonnance de 1945, qui, selon eux, « remet en question la dimension éducative » de leur travail.

« Le gouvernement révise dans un sens moins éducatif et plus répressif pour faire prévaloir la protection de l’ordre public sur le relèvement de ceux qui ont dérapé », avance Étienne Lesage, avocat à Paris et responsable du groupe de travail « droit des mineurs » du Conseil national des barreaux (CNB).                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

Mais que change concrètement la réforme ? Elle introduit trois modifications majeures.

Un jugement à partir de 13 ans

Tout d’abord une « présomption de non-discernement des mineurs de moins de 13 ans, mettant ainsi notre droit en conformité avec la Convention internationale des droits de l'enfant 30 ans après son adoption », détaille Nicole Belloubet.

Jusqu’à présent, aucun seuil minimum pour le jugement d’un mineur n’était prévu, les magistrats étant responsables d’évaluer les capacités de « discernement » de l’enfant ou du jeune. Toutefois, la présomption d’irresponsabilité pour les moins de 13 ans - contre lesquels aucune peine ne peut être prononcée - créée par la réforme ne sera pas « irréfragable ».

Mais l'exception possible

Autrement dit : « l’exception sera toujours possible et les magistrats du parquet, les juges des enfants ou le tribunal pour enfants pourront toujours écarter la présomption d’irresponsabilité si le discernement apparaît suffisant, regrette le collectif interprofessionnel « justice des enfants » (2). Si un seuil d’âge est créé par le projet de réforme, en pratique, il sera toujours possible à un enfant de moins 13 ans de comparaître ».

Actuellement, près de 18 mois s’écoulent en moyenne entre les faits qui sont reprochés au jeune et le rendu du jugement. Cyril Chigot/Divergence pour Le Media social

Accélérer le processus

Le deuxième bouleversement de la réforme concerne la procédure, modifiée afin d’accélérer le processus judiciaire. Jusqu’à présent, dans la majeure partie des cas, l’enfant ou le jeune était convoqué, après l’enquête de police, devant un juge des enfants pour sa potentielle mise en examen, avant d’être jugé ultérieurement : soit en chambre du conseil devant un magistrat seul pouvant prononcer des mesures éducatives, soit devant un tribunal pour enfants en mesure de prononcer des peines.

Une 1re audience sur la culpabilité

Actuellement, près de 18 mois s’écoulent en moyenne entre les faits qui sont reprochés au jeune et le rendu du jugement. Un calendrier que le ministère de la Justice souhaite accélérer, avec un jugement sur la culpabilité trois mois maximum après les faits, suivi d’une « mise à l'épreuve éducative », pour un jugement sur la sanction 6 ou 9 mois plus tard : soit une procédure judiciaire se déroulant, dans ses délais les plus longs, en un an.

Exceptions faites, toutefois des affaires simples, jugées par le seul juge des enfants aux prérogatives élargies - via la possibilité de prononcer des peines à vocation éducative (travail d'intérêt général, confiscation, stages) lors d'une audience unique -, et des mineurs récidivistes, qui « peuvent relever d'une procédure spécifique, permettant lors d'une audience unique, d'obtenir un jugement sur la culpabilité et la sanction dans un délai de 1 à 3 mois », rappelle Nicole Belloubet.

Des délais intenables ?