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Tribune libre26 avril 2024
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Ingénieur social, ce métier qui n’existe pas encore

Une réflexion est en cours sur la réforme du diplôme d'État d'ingénierie sociale (DEIS). L'occasion pour Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, de rappeler, dans cette tribune libre*, que cette formation n’a pas été conçue initialement pour former des cadres d’ESSMS mais pour innover et produire des analyses prospectives.

Des réflexions sont en cours, menées par la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), l’Union nationale des acteurs de la formation et de la recherche en intervention sociale (Unaforis) et l’Andelis, en vue d’une révision du diplôme d'Etat d'ingénierie sociale (DEIS) en 2025.

Voyons en quoi et pourquoi le métier d’ingénieur social n’existe pas encore. En effet, les titulaires du DEIS deviennent majoritairement des cadres de la ligne hiérarchique, pas des ingénieurs sociaux placés aux côtés de la direction.

Cherche offre d’emploi qui cherche ingénieur social

Je n’ai jamais trouvé une seule offre d’emploi intitulée cherche « ingénieur social ». Quand la mention DEIS apparaît dans une offre, c’est dans le profil du poste de directeur/directrice proposé : « cherche directeur directrice d’ESSMS (profil : Cafdes, DEIS, Master 2) ».

Les quelques véritables postes d’ingénieurs sociaux sont souvent créés pour assurer auprès de la direction générale des fonctions de veille informationnelle, de prospective stratégique, de démarche qualité, ou encore d’innovation.

Par exemple, en avril 2024, la Fondation Partage et vie publiait une offre d'emploi intitulée « chargé de projets transverses ». Elle cherchait pour son siège un profil d'ingénieur pour piloter le développement de projets, l’élaboration du projet stratégique, et la veille stratégique (publication régulière de notes de synthèse).

La rareté de ces offres ne suffit pas à offrir un travail d’ingénieur social aux quelque 120 diplômés du DEIS qui sortent des écoles chaque année. Les rares enquêtes, et le parcours des titulaires du DEIS que j’ai pu observer, permettent de soutenir qu’aujourd’hui les ingénieurs sociaux titulaires du DEIS deviennent, par défaut, majoritairement des cadres de la ligne hiérarchique.

La formation au DEIS n’est pas une formation de dirigeant d’ESSMS !

Oui, par défaut, parce que contrairement à ce qui s’est installé dans les têtes, la formation DEIS n’a pas été conçue pour former des cadres d’établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS).

La fiche du Répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) indique que le cursus doit mener aux métiers de chargé de mission, de chargé d'études, de conseiller technique ou de chef de projet. Il n’est aucunement question de former des dirigeants de la ligne hiérarchique.

Elle précise également que la formation au DEIS développe les trois fonctions suivantes : expertise et conseil, conception et développement, évaluation. Contrairement à ce qui est présenté sur le site Wikipédia, il n'est pas question de direction d’ESSMS.

Enfin, le référentiel de formation – qui indique quels doivent être les contenus du programme – ne prévoit aucun enseignement de la gestion financière des ESSMS. Comment une formation de dirigeant pourrait-elle ne pas former les personnes à cette fonction si vitale aujourd'hui ?

Pourquoi les employeurs ne créent-ils pas de véritables postes d’ingénieur sociaux ?

Les textes de références qui créent la formation en 2005 sont assez clairs, le DEIS mène au métier d’ingénieur social. Un expert qui agit au côté de la direction et du conseil d'administration pour produire de l’aide à la décision stratégique et pour piloter des projets qui, une fois aboutis, sont gérés par les cadres de la ligne hiérarchique.

Alors pourquoi les employeurs ne créent-ils pas de véritables postes d’ingénieurs sociaux ? Patrick Dubéchot faisait déjà ce constat en 2011 : « Les responsables associatifs, d’établissements ou de services préfèrent encore confier les activités d’ingénierie et les missions d’expertise à des cabinets extérieurs. Il manque du côté de ces opérateurs une politique de gestion des emplois et des compétences ayant pris la mesure des changements en cours et à venir et de la nécessité de créer, comme dans d’autres secteurs d’activité, un corps professionnel d’experts intégrés au fonctionnement même des organisations ».

On peut identifier au moins deux causes qui expliquent la quasi-absence des postes d’ingénieurs sociaux sur le marché du travail : la confusionnante notion de cadre développeur et l’inflation de la fonction d’exploitation.

La confusionnante notion de cadre développeur

Le référentiel professionnel du DEIS introduit une confusion. Le texte indique qu’il y aurait deux types de cadres : les cadres managers et les cadres développeurs (les titulaires du DEIS).

Mais à aucun moment le texte ne précise si les cadres développeurs sont des cadres de la ligne hiérarchique avec des compétences particulières en développement, ou s’ils sont des ingénieurs sociaux qui ont le statut de cadre mais qui ne sont ni chef de service, ni directeur d’ESSMS ou de pôle, ni directeur général.

De nombreuses écoles de formation se sont engouffrées dans cette brèche, consciemment ou non, pour transformer la formation DEIS en une formation de cadre de la ligne hiérarchique avec une couleur développement. Pour ce faire, elles ont ajouté des heures de gestion financière dans leur programme, non prévues dans les référentiels.

Exploration versus exploitation

James G. March distingue l'exploitation de l’exploration. Exploiter une organisation, c’est veiller à la faire fonctionner comme elle est censée fonctionner en respectant les normes et les règles. Explorer : c’est innover, produire des analyses prospectives, corriger le fonctionnement pour faire mieux.

Aujourd’hui les « ressources humaines cadres » des ESSMS sont phagocytées par l’inflation de la fonction exploitation. Il faut « du cadre » pour les rapports d’activité, les différents reportings, pour mener les autoévaluations, mettre en place le RGPD, superviser les projets personnalisés des usagers, pour animer les équipes, etc.

Les organisations qui ont conscience que la création d’un véritable poste d’ingénieur social, dédié uniquement à la fonction d’exploration, leur serait très utile, peinent à dégager du temps de cadre pour le faire tant la fonction d’exploitation est chronophage.

Les très grosses organisations parviennent plus facilement à mutualiser des moyens pour créer de tels postes au sein de leur siège.

Quel DEIS pour demain ?

Ces constats étant posés, quel DEIS pour demain ? Au moins quatre scénarios semblent possibles pour repenser le contenu de la formation et ses débouchés.

  • La mutation : le DEIS n’est plus un diplôme. Il est remplacé par une formation courte à la fonction de développeur/innovateur enregistrée au Répertoire spécifique que les titulaires d’un diplôme de dirigeant peuvent ajouter à leurs compétences.
  • Le statu quo : le DEIS reste une formation d’ingénieur social sur le papier, que beaucoup d’écoles tordent en Cafdes bis, et qui mène en réalité essentiellement à des postes de cadres dirigeants.
  • L’hybridation : le DEIS devient un cursus qui assume son caractère hybride dans sa définition et son contenu. Une formation qui mène à tout : cadre de la ligne hiérarchique, ingénieur social, consultant, chercheur.
  • L'accouchement : le DEIS reste une formation d’ingénieur social sur le papier que les écoles ne tordent plus en Cafdes bis. Les employeurs créent de nombreux et véritables postes d’ingénieurs sociaux. Le bébé ingénieur social en gestation depuis vingt ans est né.

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* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Jean-LucGAUTHEROT
Ingénieur social
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