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Handicap : gagner en autonomie dans la sexualité 

Longs FormatsSandrine LANA06 mai 2021
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Comment accéder à une vie sexuelle et affective pour des personnes en situation de grande dépendance ? L’assistance sexuelle est-elle une solution ?  Si elle ouvre de nouveaux possibles, elle suscite toujours en France des débats juridiques et éthiques, et des questionnements sur l’autodétermination, la place des tiers à domicile et en institution.

Qu'est-ce que l’assistance sexuelle ? « Un  moyen parmi d’autres de permettre à une personne qui en fait la demande de faire l’expérience de la sexualité, de se connecter à sa corporalité, à sa sensualité, de retrouver estime et confiance en soi », comme le définit Marcel Nuss, auteur et fondateur de l’association pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas).

L'association, pionnière en la matière, a mené, en 15 ans, huit cycles de formation en France à l’accompagnement sensuel et à l’assistance sexuelle, auprès de deux cents personnes. (1)

L'ombre du proxénétisme

Marcel Nuss, fondateur de l'Appas, ici en 2015, lors d'une session de formation pour l'accompagnement sexuel aux personnes handicapées. Paul Bastien/Divergence

Mais si l’assistance sexuelle existe bel et bien aujourd’hui en France, la législation l’interdit formellement.

« Depuis sept ans, l’Appas tombe sous le coup du proxénétisme, explique-t-il. Nos adhérents - des personnes en situation de handicap, des assistants et assistantes sexuelles et des familles pourraient être poursuivis en tant que clients de la prostitution même si, depuis 2016, nous n’avons jamais eu aucune condamnation... Je réclame la mise en place d’un cadre et un suivi des associations qui gèrent l’accompagnement sexuel, comme l’Appas », revendique-t-il.

« Cela peut faire des ravages »

« Il paraît que quand on est valide, on ne peut pas s’imaginer combien le manque de tendresse peut être important. Quand on a trente ou quarante ans et qu’on n’a jamais touché le corps de l’autre, qu’on a jamais connu de peau contre peau, c’est une prison », témoigne Stéphane (2) qui est porteur d’une infirmité motrice cérébrale.

Il a déjà eu recours à une assistante sexuelle, qu’il a rencontrée via le bouche-à-oreille… « Il existe des besoins sexuels et quand on ne peut même pas se masturber, alors qu’on est douché, habillé tous les jours par des auxiliaires de vie, ça peut faire des ravages », explique-t-il.

Regrettant que la plupart du temps, « on préfère donner des tranquillisants au lieu de s’attaquer aux vraies questions. On peut en parler mais cela ne résout rien. Le seul moyen de déjouer ce problème, c’est de passer à l’acte. Il vaudrait mieux légaliser et bien contrôler plutôt que ça se passe "sous le manteau", poursuit-il.

Un vif débat

La secrétaire d'État en charge des personnes en situation de handicap, Sophie Cluzel, s'est personnellement déclarée « très favorable » à l'assistance sexuelle. Philippe Chagnon/Cocktail santé

Ce paradoxe entre la réalité et la législation fait débat. Avec, d’un côté, les abolitionnistes de la prostitution qui ne conçoivent pas de faire de l’assistance sexuelle une exception à la règle, tout comme certaines personnes handicapées ; et, de l’autre, des militants d’une société inclusive et adaptée.

La question remue jusqu’au gouvernement. En février 2020, la secrétaire d’État en charge des personnes handicapées, Sophie Cluzel, a demandé au comité consultatif national d’éthique (CCNE) et au comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) de se pencher sur la question. La secrétaire d'État s'est, quant à elle, déclarée « très favorable » à l'assistance sexuelle, ajoutant : « c'était tabou dans notre société. La société a mûri ».

La question de l'instrumentalisation

La question n’est pas neuve puisqu’en 2012, le CCNE avait rendu un avis défavorable à la création d’un service d’assistance sexuelle.

« Il est apparu que l’aidant pouvait se trouver malmené même involontairement et la relation sexuelle devenir différente de ce qui avait été prévu contractuellement. Ont été évoquées également les situations d’abus de la part des aidants comme les chantages dont ils peuvent être eux-mêmes victimes. (…) On ne peut évacuer la difficile question de l’instrumentalisation, même consentie, rémunérée ou compassionnelle du corps d’une personne pour la satisfaction personnelle d’une autre », estimait alors le conseil.

On est sorti du côté sulfureux de la polémique

Julia Tabath secrétaire de CH(s)OSE

À gauche, Julia Tabath, secrétaire de CH(s)OSE, lors des journées Agit'Action, le rendez-vous jeunesse d'APF France handicap, en 2019, à Amiens. Jérôme Deya

Remettre la question sur le tapis, « cela ne mange pas de pain ! », ironise Marcel Nuss. « C’est clairement de la communication qui séduit le peuple et les journalistes. » D’ailleurs, aucune des personnes interrogées dans ce dossier n’a été consultée par la secrétaire d’État.