Le média social
Réagir
Imprimer
Télécharger

Habitat inclusif : une loi qui booste ou qui brime ?

Longs FormatsSophie LE GALL07 juillet 2020
Abonnés

Pourvu d'un cadre législatif depuis la loi Elan de novembre 2018, l'habitat inclusif aborde aujourd'hui l'étape de sa généralisation avec un nouveau point d'appui : celui du récent rapport remis le 26 juin 2020. Les expérimentateurs de ce mode d'habitat en milieu ordinaire dédié aux personnes âgées et/ou en situation de handicap espèrent pouvoir continuer d'innover et de faire du sur-mesure.

La loi Elan du 23 novembre 2018 (1), qui a fait entrer l'habitat inclusif dans le droit commun - le définissant comme « un mode d’habitation regroupé, assorti d’un projet de vie sociale et partagée » destiné aux personnes âgées et/ou en situation de handicap -, avait fait naître le doute.

Et si elle venait institutionnaliser l'habitat inclusif, dont la dynamique repose majoritairement sur des initiateurs issus de la société civile, qui se sont employés, avec les moyens du système D, à faire du sur-mesure pour un groupe de quelques personnes ?

Sortir du bricolage

Olivier Cartigny, de Ladapt DR

Et si cette loi créait une nouvelle catégorie d'établissements, juste un peu plus petits, alors même que l'habitat inclusif est revendiqué par les porteurs de projet comme une troisième voie, entre l'établissement et le domicile ?

« La loi Elan a permis de sortir du bricolage, qu'il soit juridique, financier ou encore administratif, tout en ouvrant des perspectives pas forcément toutes positives », estime Olivier Cartigny, pilote du centre ressource habitat Nouvelle Aquitaine de l'association Ladapt (2).

Au risque de la massification

Un an après la loi, les termes de la lettre de mission signée du Premier ministre, Édouard Philippe, à Denis Piveteau - membre, entre autres fonctions, du Conseil d'État - et Jacques Wolfrom - président du comité exécutif du groupe Arcade -, « relative à la mise en œuvre d'une stratégie nationale pour le déploiement à grande échelle de l'habitat inclusif », n'ont fait que renforcer les inquiétudes.

En particulier, son objectif de rechercher « des modèles de déploiement susceptibles de massifier ce type d'habitat ». L'injonction à la « massification » ne passe pas. « Cette volonté laisse craindre que seuls les gros opérateurs puissent répondre aux appels à projet », pointe Erwan Leduby, directeur général de l'association Ensemble Autrement (Roubaix, Nord), qui gère, entre autres services, plusieurs colocations destinées à des personnes souffrant d'un handicap psychique.

Céline Schutt, responsable habitants innovants au Gapas (Nord). Jeanne Frank/item pour Le Media social

Pour Céline Schutt, responsable habitants innovants au Gapas (Nord), association qui a également ouvert plusieurs colocations pour personnes souffrant d'un handicap psychique (lire ci-dessous), la machine est déjà lancée .

« Nous avons été démarchés par un promoteur immobilier qui a imaginé un concept d'immeubles rattachés à un établissement, avec une conciergerie pour personnes dites à besoins spécifiques. Il n'est nullement fait mention d'accompagnement. C'est sidérant ». La massification pourrait ainsi laisser de côté les personnes les moins autonomes.

Un fonds territorial d'investissement

Preuve de la difficulté technique du dossier, c'est en se basant sur les « douze principaux freins identifiés au développement de l'habitat inclusif » que Denis Piveteau et Jacques Wolfrom ont bâti leur rapport, « Demain, je pourrai choisir d'habiter avec vous ! », remis le 26 juin 2020 au gouvernement.

Ainsi, face au manque de sécurisation des projets sur le long terme, le rapport propose le recours à une « personne morale porteuse du projet partagé », et pour pallier les difficultés de financement des projets, suggère la mise en place d'un fonds territorial d'investissement.

Une « aide à la vie partagée »

Par ailleurs, le texte suggère la création d’une nouvelle aide individuelle à la personne (l’aide à la vie partagée, AVP) pour financer les temps d’animation ainsi qu'un « forfait de services mutualisés », dédié aux personnes en situation de handicap non éligibles à la prestation de compensation du handicap (PCH) et qui auraient ainsi accès à l’habitat inclusif.

Denis Piveteau, coauteur du rapport sur l'habitat inclusif remis le 26 juin dernier au gouvernement. Philippe Chagnon/Cocktail santé

Les auteurs estiment que la CNSA pourrait être l'opérateur national de « maîtrise d'œuvre » de l'habitat inclusif afin de porter l'impulsion nationale. En réponse aux inquiétudes émanant des acteurs de terrain qui pourraient se sentir dépossédés, ils se veulent rassurants, formulant l'espoir que leur rapport soit « celui d'une République qui protège, non en apportant une solution toute faite, mais en proposant un cadre qui suscite et rassure l'initiative ».

Le gouvernement, de son côté, a indiqué qu'il « examinera avec la plus grande attention ces propositions, à l'heure où s'engage la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale en faveur de l'autonomie  ».

Une phase de transition

Virginie Magnant, directrice de la CNSA Noémie Colomb/Le Media social

Pour l'heure, « on est dans une phase de transition, qui n'est plus celle de l'expérimentation, plutôt celle de la pré-généralisation », estime Virginie Magnant, directrice de la CNSA, soulignant que le rôle de l'établissement public est celui d'un « facilitateur » de l'essor de l'habitat inclusif.

Un « double soutien », sous la forme d'animation, via l'Observatoire de l'habitat inclusif (3) qui entend fournir une aide pratique aux porteurs de projets, et financier.

L'équilibre financier, fragile, des premières initiatives lancées, repose sur la mutualisation de la prestation de compensation du handicap (PCH) des personnes cohabitantes et, selon les territoires, le soutien financier du conseil départemental et celui de fondations.

Une enveloppe de 25 millions

Pour sa part, après une phase de financement expérimental pour la période 2016-2018, la CNSA a mobilisé une enveloppe de 15 M€ en 2019, qui a été relevée à 25 M€ pour 2020, à répartir par les agences régionales de santé (ARS) après appels à candidatures.