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Tribune libre20 juillet 2021
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Un directeur d'Ehpad confronté à la soif de liberté d'une résidente Alzheimer

Patrick Montagard a longtemps dirigé un Ehpad dans le Vaucluse. Dans cette tribune libre*, il se souvient d'une résidente atteinte de la maladie d'Alzheimer qui a fait évoluer l'accompagnement proposé dans l'établissement, pour respecter la liberté de chacun.

J'ai observé pendant 35 ans l'évolution des publics accueillis en foyer logement, en Ehpad ou vivant à domicile avec l'étayage d'un Ssiad. Aujourd'hui, je partage cette expérience.

Nous sommes en 2008 lorsque madame H. entre à l'Ehpad avec une maladie d'Alzheimer à un stade modéré. Éprise de liberté, elle répète souvent : « Ah ! Liberté, liberté chérie. »

« Je veux rentrer chez moi » 

Elle sort régulièrement de l'établissement et, progressivement, ses retours sans accompagnement sont aléatoires. Cela préoccupe les équipes car l'établissement ne dispose pas « d'unité protégée ». En revanche, il existe un dispositif de surveillance qui alerte du passage de résidents qui se lancent dans des explorations « hors les murs ». Comme souvent, il est installé à l'entrée – ou à la sortie de l'établissement, cela dépend du point de vue que l'on adopte.

Je me souviens d'une après-midi particulière. Madame H. multiplie les sorties et, avec constance – il en faut souvent en Ehpad –, le personnel l'accompagne et réoriente habilement son attention pour rentrer dans l'établissement. Quelques minutes après, elle ressort et insiste : « Je veux rentrer chez moi ! »

Ambiance « Psychose »

Ce scénario se reproduit jusqu'aux environs de 17 heures et, à ce moment-là, l'environnement change (à partir de cette ligne, imaginez la musique des films Psychose ou Les Dents de la mer...). La charge de travail, supportable jusque-là, pèse désormais sur les pensées des soignants. Les relations se tendent et madame H. s'agite, certains disent qu'elle devient agressive.

C'est ainsi que la décision est prise d'appliquer la prescription « si besoin », pour faciliter sa « compliance ». Cependant, les cris attirent l'attention et un « Martien » arrive pour proposer l'impensable : « Madame H., je vous accompagne chez vous. » Après un phénomène de sidération des soignants face à une telle proposition, et avec empressement de la part de madame H., trop contente d'être enfin entendue, les voilà dans le véhicule de l'Ehpad pour retourner chez elle. (Vous pouvez remplacer la musique de Psychose par celle du Gendarme et les gendarmettes, et respirer paisiblement.)

Adapter notre accompagnement

Malgré sa maladie d'Alzheimer, certes à un stade modéré, elle guide, sans erreur ni hésitation, son chauffeur jusqu'à son domicile, situé à 12 km de l'Ehpad. À son arrivée, elle se rend compte qu'elle n'a pas la clé mais sa voisine est présente, elle vient échanger quelques mots. Madame H. est encore un peu « agitée », elle résiste à l'idée de retourner manger et dormir à l'Ehpad.

À la question « Que voulez-vous faire ? », elle hésite : « Je ne sais pas mais je ne retourne pas là-bas. » Madame H. accepte finalement de retourner à l'Ehpad. Au retour, elle est calme et dit : « Alors, c'est là que je vais habiter. » Oui, Madame H., c'est là que vous allez habiter. Cela fait maintenant 13 ans et votre détermination nous a obligés à adapter notre accompagnement à votre soif de liberté.

« Et si l'on pensait autrement »

Le lendemain, les soignants relatent la soirée de madame H. Elle s'est installée à table pour manger, elle est allée se coucher et a bien dormi. En résumé, plus d'agressivité, plus d'agitation, et cela, sans traitement compliant. L'intervention de la veille a duré une heure. Cette année, elle nous a quittés pour sa dernière demeure (le Covid n'y est pour rien).

Madame H., je vous adresse un grand merci car vous avez bouleversé toute une façon de penser le soin et le temps dans notre Ehpad.

Un espace pour accueillir vos témoignages

En mars dernier, Patrick Montagard racontait sur notre site l'expérience de l'Ehpad rural du Vaucluse qu'il dirigeait pendant le premier confinement. Cet établissement avait fait le choix de ne pas enfermer les résidents dans les chambres et de leur laisser leur liberté de déplacement, en réorganisant le fonctionnement de l'établissement (lire son récit).

Aujourd'hui, il s'exprime dans l'espace « Tribune libre ». Rappelons que cette rubrique peut accueillir vos témoignages, vos prises de position. Évidemment, la rédaction reste libre de publier ou non vos textes. En tout cas, n'hésitez pas à nous soumettre vos contributions…

Envoyez-nous vos textes à l'adresse de la rédaction : lemediasocial@editions-legislatives.fr.

*Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

PatrickMONTAGARD
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