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Travailleur social et chercheur : au cœur de la rencontre

Longs FormatsSophie LE GALL15 janvier 2021
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Que se joue-t-il entre le travailleur social et le chercheur ? Face au constat d'une relation encore trop asymétrique, la recherche collaborative, les collectifs ou plus simplement, les chercheurs « engagés » tendent vers un croisement des savoirs pratiques et scientifiques qui soit réciproque. Et qui intègre les personnes accompagnées.

On les oppose, comme on oppose la théorie à la pratique ou encore le laboratoire au terrain, et pourtant, chercheurs et travailleurs sociaux semblent avoir de plus en plus d'occasions de se découvrir et de collaborer.

Et ce, dès le stade de la formation initiale, notamment avec le développement des « pôles recherche » au sein des écoles en travail social.

Une volonté d'articulation

Béatrice Muller, directrice de l'Eseis (Strasbourg). DR
Diane Bossière, déléguée générale d'Unaforis. Frédéric Guina

« La place de la recherche n'a jamais été aussi vivace dans les instituts de formation, surtout depuis la réforme de 2018 des diplômes, qui a rapproché écoles et universités », avance Diane Bossière, déléguée générale de l'Union nationale des associations de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis).

Béatrice Muller, directrice de l'École supérieure européenne de l'intervention sociale (Eseis, Strasbourg) confirme : « Nous sommes dans une volonté d'articulation permanente entre recherche et formation. La recherche vient irriguer les enseignements. Dès que des résultats sont produits, ils sont transmis aux formateurs et aux élèves. Ces derniers sont également associés à des projets de recherche, mis en situation d'enquête ».

Du bricolage

Un tableau enthousiasmant que tient à temporiser Gilles Allières, ancien éducateur spécialisé et chargé de mission dans un établissement de formation (lire l'entretien ci-dessous) : « Attention à ne pas généraliser ! Seules les grandes unités, tels les instituts régionaux du travail social (IRTS), financent des pôles recherche ou laboratoires en leur sein. Il faudrait aussi regarder si les disciplines représentées sont diversifiées. Les autres écoles, bien plus nombreuses, bricolent la recherche avec des formateurs qui ont un doctorat, et ces derniers n’ont guère le temps de s’adonner à leur spécialité ».

Mais tout ne se joue pas en formation initiale. Passé ce temps, le travailleur social peut encore recroiser le chercheur dans des circonstances variées : colloques, journées d'études, formation continue, enquête de terrain du chercheur, recherche-action, recherche collaborative, collectif… sans oublier quand il retourne sur les bancs de l'université ou quand lui-même entreprend un parcours de… futur chercheur.

Question de positionnement

Tout en évoluant dans un univers très différent, le chercheur a en effet besoin du travailleur social et du terrain que représente le travail social, de même que le travail social et ses acteurs ont besoin de se nourrir des apports des sciences afin d'être outillés pour accompagner les publics fragiles.

Mais qui dit interdépendance ne dit pas forcément équité. Auréolé de l'image de celui qui « sait », le chercheur peut s'installer dans une position surplombant le travailleur social - celui qui « fait » - et ainsi instaurer une relation asymétrique.

Une vision du métier

Jean-Luc Charlot, sociologue, directeur de la Fabrik Autonomie et Habitat (Caen). DR
Philippe Warin, sociologue, directeur de recherche, cofondateur de l'Odenore. DR

Pour Philippe Warin, sociologue, directeur de recherche (CNRS, PACTE, laboratoire de sciences sociales), cofondateur de l'Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore, à Grenoble), la qualité de la relation entre le travailleur social et le chercheur dépend de « comment ce dernier envisage son métier et comment il considère son sujet », soit, dans l'idéal, « comme un objet de recherche à porter collectivement et à rendre visible ».

Veiller à être compris

Prend-il le temps sur le terrain ? Veille-t-il à être compris en évitant le jargon scientifique ?, « ce qui ne veut pas dire adopter un style simpliste », s'investit-il dans l'action aux côtés des professionnels tout en ayant en tête sa grille de questions, à poser au bon moment ?

Même analyse de Jean-Luc Charlot, également sociologue et directeur de la Fabrik Autonomie et Habitat (à Caen), association engagée dans le champ de l'habitat inclusif. Lui fait la différence entre « un chercheur qui vient se nourrir sur le terrain pour produire » et « un chercheur qui met ses outils et ses connaissances au service d'un groupe, pour, ensemble, trouver une solution à une problématique ».

Sortir la tête du guidon

On comprend que la rencontre sera de qualité pour les deux parties, et d'autant plus fertile, si elle fonctionne selon le principe des vases communicants.

Mickaël Blanchet, docteur en géographie sociale et formateur, notamment au centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), voit, dans les formations qu'il dispense, l'occasion pour les travailleurs sociaux « de sortir la tête du guidon, de se donner le temps de la réflexion ».

Des cartographies 

« En tant que géographe, je leur fais faire des cartographies - ont-ils une carte du territoire en tête ? Où se situent leurs partenaires et pourquoi ne pas travailler avec tel acteur ? -, ce qui permet de cerner des manques et, pourquoi pas, de faire émerger des projets », raconte-t-il, tout en reconnaissant qu'il y a « des travailleurs sociaux qui s'emparent du sujet, et d'autres non ».

Du côté du chercheur, cette rencontre, « c'est la réalité qui vient à nous. Comprendre ce qui se joue sur le terrain, la charge administrative, la lassitude… ».

Trouver l'alchimie

Cécile Perrot, coordinatrice de l'animation du projet éducatif à la fondation Apprentis d'Auteuil. J.P. Poupeau/Apprentis d'Auteuil