Les convergences tarifaires découlant des réformes en cours dans le secteur social et médico-social, notamment Serafin-PH, risquent de faire des perdants et d'avoir des conséquences concrètes sur la qualité des accompagnements dans les ESSMS, s'inquiète Johan Priou, docteur en économie et directeur de l’Uriopss Centre, dans cette tribune libre*.
Les grandes réformes de la tarification ont pour objectifs affichés de simplifier le financement des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) selon des modalités plus transparentes et plus équitables en donnant une meilleure visibilité sur la dotation reçue.
Ces réformes doivent aussi adapter les financements au parcours de vie des personnes. Les équations tarifaires, en cours de définition, renforceront ainsi l’objectivité et l’automaticité de l’allocation de ressources.
Les financements basés sur les projets et les dépenses correspondantes (principalement la masse salariale), fondement historique de la tarification, seront abandonnés pour passer à des financements à la ressource, basés sur des recettes prévisionnelles en lien avec les prestations réalisées et avec des caractéristiques des personnes accompagnées.
Ce sont aussi des modèles de convergence tarifaire dans lesquels il y aura des gagnants et des perdants. Surtout si ces réformes sont réalisées à coûts constants.
Les perdants
Intéressons-nous aux perdants : ce sont des ESSMS qui vont voir leurs ressources diminuer parce que celles-ci sont supérieures à celles, en moyenne, d’autres ESSMS ayant des caractéristiques communes.
Dans une logique d’équité, les ESSMS qui ont plus de ressources sont considérés comme étant trop dotés pour réaliser leurs missions.
Parfois, un lien peut aussi être fait avec une éventuelle mauvaise gestion des ressources. Alors même que ces dotations ont été définies dans le cadre d’un projet précis et après négociation avec les autorités de tarification qui, elles seules, arrêtent les tarifs.
Il est toujours étonnant que, dans ce secteur, la moyenne devienne implicitement une norme de référence [1]. Mais ce qui est encore plus déconcertant, c’est la facilité avec laquelle nous dissocions la qualité des prestations réalisées des moyens dont disposent les ESSMS.
Les plus dotés deviennent trop dotés, et cela pourrait même refléter une dérive de gestion. À aucun moment, dans ce raisonnement, n’est introduite l’hypothèse selon laquelle ces dotations, plus élevées que d’autres, pourraient aussi permettre de produire une plus grande qualité.
Lien entre ressources et performances
Concernant un éventuel lien entre ressources et performances, j’ai sondé des amateurs de sport : football, cyclisme, rugby, basket… Leurs sourires en coin incrédules en guise de réponse étaient sans appel : il existe une corrélation très significative entre le niveau des budgets des équipes et leurs performances, ce que de nombreuses études confirment.
Même si, et chacun avait un contre-exemple en tête, des budgets plus élevés ne garantissent pas à eux seuls le niveau de performance, puisqu’il faudra en assurer une gestion rigoureuse, stratégique et efficace pour transformer ces ressources financières en performances concrètes.
Revenons à nos perdants de la convergence tarifaire : ce passage par les analogies sportives permet de dire que nous n’avons plus une mais deux catégories de perdants.
Les usagers, principaux perdants
La première regroupe les ESSMS qui vont voir leurs ressources diminuer, avec des impacts majeurs pour leurs organisations. Ce n’est pas le signal dont le secteur a besoin dans un contexte de faible attractivité des métiers, des emplois et des organisations. Il y a un risque majeur à déconnecter les financements des rémunérations des professionnels, qui peut pousser à la déqualification.
C’est aussi un risque majeur, concernant les CHRS, d’affaiblir financièrement l’ESSMS de référence sur lequel s’appuient de nombreux petits dispositifs nécessaires pour d’autres interventions, mis en place à la demande des préfectures, mais dont les financements propres sont insuffisants pour pouvoir se passer de l’appui du CHRS.
Ces impacts sont, pour le champ du handicap, partiellement appréhendés par l’Igas lorsqu’elle recommande : « La réforme de la tarification ne peut elle-même être envisagée à coût constant, les structures potentiellement perdantes devant être au moins transitoirement soutenues pour atteindre la cible » [2].
Ce choc peut, en conséquence, être important pour la seconde catégorie de perdants : les usagers. En effet, si des ESSMS voient leurs dotations diminuer, les principaux perdants seront les usagers qui verront se dégrader la qualité des accompagnements et des soins qui leur seront proposés. Au grand dam des professionnels et des associations qui en ont la responsabilité.
Assumer le lien entre ressources et qualité
Quelques propositions qui pourraient être discutées lors de la finalisation de ces réformes.
La première pourrait être d’affirmer qu’il ne doit pas y avoir de perdants dans ces réformes. Rien de démagogique ici, dans la mesure où il n’est pas démontré que les ESSMS les mieux dotés le seraient trop, rien ne justifie qu’ils doivent baisser la qualité des prestations qu’ils rendent actuellement.
En revanche, nous ne pourrions que nous réjouir collectivement d’une augmentation des ressources des ESSMS insuffisamment dotés pour leur permettre d’améliorer la qualité des accompagnements et des soins proposés.
La seconde, double, vise à assumer le lien entre ressources et qualité. Ainsi, pour les ESSMS perdants :
- Lorsque les résultats de l’évaluation HAS d’un ESSMS seront rendus publics (au sein de l’ESSMS ou sur internet), il serait nécessaire de l’accompagner obligatoirement de la mention suivante : « Nous, Etat et financeurs, ayant décidé de diminuer la dotation de cet ESSMS, nous assumons pleinement la baisse de qualité qui pourrait en découler ».
- Cette même mention serait incluse dans un courrier, signé par les ministères compétents, qui serait adressé à tous les usagers des ESSMS concernés par une baisse de leur dotation.
Bien entendu, la même démarche pourrait être opérée pour les ESSMS gagnants dans le cadre de ces réformes.
Enfin, plus généralement, cet exemple illustre la nécessité d’inscrire les évaluations HAS des ESSMS dans le cadre plus global d’une évaluation des politiques d’action sociale et médico-sociale : si l’on veut faire une véritable évaluation de la qualité des ESSMS, il faut évaluer les conditions dans lesquelles ils exercent leurs missions, et donc les cadres des politiques nationales, régionales et départementales. Afin que chacun assume sa part de responsabilité.
[1] Cela vaut aussi bien pour les tarifs que pour les « taux d’équipement » ou les taux d’encadrement…
[2] Rapport Igas « Handicap : comment transformer l’offre sociale et médico-sociale pour mieux répondre aux attentes des personnes ? », janvier 2025, page 5.
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