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Tribune libre18 décembre 2023
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Pourquoi tant de crispations autour de la mise en œuvre du plan de transformation des Esat ?

Ces dernières semaines, le débat s’est centré autour des difficultés financières que pourrait engendrer la mise en œuvre du plan de transformation des Esat, observe Jean-Louis Leduc. Ces polémiques prématurées risquent toutefois de rendre les équipes frileuses au changement, redoute l'ex-DG de la Fédération Apajh, dans cette tribune libre*.

 

Les crispations qui s’expriment de plus en plus, ces dernières semaines, sur la réforme des établissements et services d'aide par le travail (Esat) ont de quoi surprendre. En effet, les mesures arrêtées par le gouvernement et les premiers textes d’application ont fait l’objet d’une très longue et large concertation avec le CNCPH, avec les associations représentant les personnes en situation de handicap, avec les organismes gestionnaires d’Esat.

Rappelons-nous que les discussions ont débuté à l’époque du ministère de Sophie Cluzel, puis se sont poursuivies dans le cadre de la préparation de la Conférence nationale du handicap du 26 avril 2023, puis encore au moment de la loi pour le « plein emploi » d'octobre 2023.

Ayant maintenant terminé ma longue carrière professionnelle, je peux dire que c’est une des rares fois où j’ai vu une telle volonté des conseillers ministériels de s’attacher à une construction aussi collective et à une recherche de consensus autour des mesures.

Des droits nouveaux

D’ailleurs, il ne pouvait en être autrement puisque l’objectif est avant tout de permettre aux travailleurs des Esat d’exprimer de vrais choix de projet et de parcours professionnels et d’établir avec les encadrants des structures les actions à mettre en place pour y parvenir.

En outre, des moyens financiers ont été engagés par l’État pour faciliter la création ou la transformation d’activités nouvelles mieux à même de développer les compétences des travailleurs d’Esat.

Enfin, une série de dispositions ont été prévues pour créer des droits nouveaux en faveur des personnes, à la fois pour rapprocher leur statut du droit du travail tout en restant « usagers » au sens du code de l'action sociale et des familles (CASF), mais également pour donner pleinement sens à la notion de parcours en facilitant l’accès à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) avec la possibilité de recours à France Travail.

À date, des textes d’application restent bien évidemment à paraître et certains aspects peuvent sans doute encore être enrichis.

Missions des Esat

Personnellement, il m’apparaît fondamental de redéfinir ou préciser les missions des Esat même si, nombre d’entre eux, ont su évoluer, se transformer pour s’inclure au sein de leur bassin d’emploi et de leur bassin de vie.

Une question demeure : pourquoi aussi peu de travailleurs d’Esat réussissent-ils à aller jusqu’à l’embauche au sein d’une entreprise ou collectivité de droit commun ? (Entre 1 et 3 % pour la très grande majorité des Esat).

Ainsi, les Esat doivent se transformer en plateforme d’accompagnement par le travail avec pour missions :

  • la découverte par l’immersion des champs professionnels (le champ des possibles dans son bassin de vie) ;
  • l’élaboration d’un projet personnalisé régulièrement réactualisé ;
  • la mise en œuvre de stages à périodes régulières à la fois pour évaluer en situation les compétences professionnelles mais aussi l’appropriation des codes sociaux ;
  • la possibilité de travailler dans des ateliers de l’Esat en diversifiant les expériences ;
  • la possibilité de conclure un contrat de travail à temps partiel en conservant un temps au sein de l’Esat ;
  • la possibilité de bénéficier d’un accompagnement régulier en milieu de travail, quel qu’il soit, par un professionnel de l’Esat ;
  • la possibilité, en tant que de besoin, de bénéficier d’accompagnements autres pour développer, consolider et renforcer l’autonomie.

Tout cela, bien évidemment, en fonction d’une donnée majeure et centrale, le choix de vie de la personne.

Écosystèmes locaux

Les Esat doivent se situer au cœur d’écosystèmes locaux pour asseoir des partenariats de confiance, des coopérations donnant/donnant et surtout ne rien s’interdire, ne rien considérer comme inaccessible.

Le rapport annuel d’activité, élaboré par l’Esat et adressé à l’ARS dans le cadre du dialogue de gestion, doit mieux mettre en lumière l’ensemble de ces paramètres et déboucher sur la fixation d’objectifs s’implémentant au sein du CPOM.

En rappelant ces éléments, mais aussi en listant les droits nouveaux, mutuelle, droits à congés, chèques vacances, droit d’expression… on se dit forcément que tout cela est consensuel et qu’il faut juste du temps pour permettre aux équipes de réfléchir à la mise en œuvre, sachant que pour de nombreuses structures, c’est déjà ce qui se pratique, voire même au-delà.

Difficultés financières ?

Ces dernières semaines pourtant, le débat s’est animé, crispé, autour de possibles mises en difficultés financières d’Esat, anticipant la mise en œuvre du plan de transformation.

Ces polémiques prématurées risquent de rendre les équipes frileuses au changement, et même d’inquiéter les personnes accompagnées.

Mais qu’en est-il réellement de ces risques financiers ?

Si l’on ne peut nier l’équilibre économique chancelant de certains Esat du fait d’activités peu rémunératrices ou d’organismes gestionnaires fragiles, pour beaucoup d’autres Esat, les résultats économiques sont largement bénéficiaires.

Sujet sensible

Mais on touche là un sujet sensible, tabou même dans certaines organisations.

Les résultats du budget commercial des Esat sont réglementairement soumis au regard des ARS, dans la réalité il en est autrement.

Bien plus fréquemment, les résultats excédentaires viennent grossir les fonds propres des organismes gestionnaires et ne profitent, qu’à la marge aux travailleurs d’Esat qui pourtant sont les créateurs de ces « richesses ».

Je pense qu’il est plus que jamais nécessaire que la transparence s’opère afin que les ARS puissent apprécier la réalité des situations et apporter, quand il le faut, les ressources supplémentaires pour que ce plan s’applique partout, et sans réserve, pour le choix de vie et de parcours professionnel des travailleurs en situation de handicap, répondant ainsi aux recommandations de l’ONU.

Ne laissons pas passer cette opportunité d’évolution et de transformation.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

Jean-LouisLEDUC
Ancien directeur général de la Fédération Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés)
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