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Interview09 décembre 2019
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Marie de Hennezel : "Le principal obstacle à la sexualité des parents âgés vient des enfants"

La psychologue Marie de Hennezel s'attaque à un tabou très puissant dans la vieillesse : la sexualité. Non, celle-ci n'est pas condamnée à disparaître le grand âge venu. Il faut simplement revoir ses modalités et s'orienter vers la tendresse.

La psychologue clinicienne Marie de Hennezel qui s'était fait connaître dans les années 90 suite à sa longue relation d'échanges avec François Mitterrand, s'est associée avec le psychanalyste Philippe Gutton pour conduire toute une réflexion sur la vieillesse et la sexualité. L'avant-propos du livre plante bien le décor. Reprenant une citation de Victor Hugo « Mon corps décline, ma pensée croît, dans ma vieillesse il y a une éclosion », il explique le projet de l'ouvrage. « Quelle est la nature de cette embellie ? quelle place y tient la tendresse libérée et quel rôle joue cette libération dans l'accomplissement d'une vie. » 

Entre deux conférences ou formations, Marie de Hennezel nous a gentiment accueillis dans son appartement au centre de Paris.

Pour écrire un tel livre, d'où parlez-vous ? Quels ont été vos postes d'observation ?

Marie de HennezelPour reprendre votre expression, j'ai deux postes d'observation sur cette question. D'une part, j'anime des séminaires « Art de bien vieillir » que la mutuelle Audiens propose à ses adhérents : quatre séminaires de trois jours chacun. Le discours que je tiens est le suivant : « On va réfléchir ensemble. Je n'en sais pas plus que vous. Nous allons explorer ensemble notre manière de vieillir. » J'ai en face de moi des gens décidés à faire de leur avancée en âge une belle expérience. (1)

Et votre second poste d'observation ?

M. d. H.La société Domitys qui gère des résidences services, m'a demandé d'animer un parcours baptisé « l'aventure de la vieillesse ». C'est un public plus âgé, entre 80 et 100 ans. L'objectif des groupes de paroles est d'exprimer ce qui va bien. En vieillissant, on continue à s'enrichir. La fragilité nous permet de vivre des choses positivement qu'on ne pouvait pas vivre avant, du fait de la lenteur et de la nécessité de se faire aider. Une dame de 86 ans me disait : « J'ai ma canne. Je n'ai jamais été aussi gaie. »

On n'entend jamais ce type de discours...

M. d. H.Vous avez raison. Ce discours, personne ne s'y intéresse. J'ai le sentiment qu'on ne peut pas en parler. Avoir une parole positive sur la vulnérabilité, c'est très difficile.

Venons-en à la sexualité. Qui est encore concerné ?

M. d. H.Selon différentes études, on estime qu'un tiers des personnes de plus de 65 ans continuent à avoir une vie sexuelle. Mais cela n'est possible que s'il y a une mutation de la sexualité. Le problème, c'est que notre société pose un regard très dévalorisant sur la sexualité des personnes âgées. Éros, dans l'inconscient collectif, est associé à la jeunesse.

Qu'est ce qui bloque pour la prise en compte de la sexualité ? 

M. d. H.Souvent, on croit que ce sont les Ehpad qui compliquent la vie amoureuse. Cette question est de plus en plus prise en compte : tel directeur d'Ehpad installe des lits de 1,20 m pour permettre aux conjoints de se retrouver.

En fait, les enfants sont les principaux obstacles à la sexualité de leurs parents car ils n'arrivent pas à se la représenter. Une anecdote pour traduire ce blocage culturel : j'avais écrit un livre Sex and sixties. On m'a raconté qu'un lecteur âgé de ce livre l'avait caché sur sa table de nuit, tout simplement pour ne pas que les enfants puissent le découvrir. Lorsqu'il a fallu l'éditer en Poche, le titre a été changé pour L'âge, le désir et l'amour. Et il s'est vendu comme des petits pains.

À quelles conditions une vie amoureuse et sexuelle est-elle possible pour les gens âgés ?

M. d. H.Il faut faire le deuil d'un corps jeune. Et comprendre qu'il peut y avoir une forme de beauté et de séduction qui vient de l'intérieur. Mais c'est vrai que beaucoup de personnes, hommes et femmes, imaginent que parce qu'ils n'ont plus l'image de leurs 30 ans, ils ne peuvent plus séduire.

Avez-vous décelé des différences entre les hommes et les femmes ?

M. d. H.Les hommes qui ont souvent une sexualité plus pulsionnelle ont plus de mal à accepter cette mutation. Les femmes sont souvent plus disposées à intégrer que la sexualité puisse être une tendresse. Elles peuvent aider les hommes à évoluer. Il s'agit dès lors de « faire la tendresse », de se prodiguer des caresses dans une proximité charnelle.

Avez-vous observé dans d'autres aires culturelles un autre rapport à la sexualité des aînés ?

M. d. H.En Chine et en Inde, par exemple, les gens sont beaucoup moins gênés et moins emprisonnés par nos normes jeunistes. Il y a une sorte de connection énergétique : le plaisir d'être ensemble et de sentir l'énergie qui circule.

Revenons dans notre hexagone. Comment peut-on progresser sur cette question ?

M. d. H.Il faut d'abord rappeler aux enfants qu'ils n'ont pas le droit de s'opposer à la vie affective de leurs parents. L'argument souvent utilisé d'un consentement défaillant ne tient pas la route. La seule chose à vérifier pour l'établissement, c'est l'absence de violence. La vie affective est tout à fait possible pour les personnes malades d'Alzheimer qui sont souvent très tendres entre elles. Par ailleurs, il faut que les professionnels se forment sur cette question. 

(1) Elle propose également une vidéo hebdomadaire à la demande d'Audiens. Visible sur You Tube.

« Et si vieillir libérait la tendresse », de Marie de Hennezel et Philippe Gutton, éditions In Press, collection Old'up, 220 pages, 14,90 €.

NoëlBOUTTIER
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