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Les cabinets de conseil ont-ils pris la main sur les politiques sociales ?

Longs FormatsAurélie VION14 avril 2022
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Dans un récent rapport, le Sénat a mis en lumière l’emprise massive des cabinets de conseil sur les affaires de l’État. L'échelon local n'y échappe pas : conseils départementaux, agences régionales de santé… tout le monde (ou presque) externalise des prestations de conseil. Y compris dans le champ de l’action sociale, et avec une valeur ajoutée parfois discutable.

Sorti le 17 mars, quelques jours avant le scrutin présidentiel, le rapport de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques a fait l’effet d’une bombe : en 2021, l’État a dépensé plus d’un milliard d’euros pour ce type de missions.

Un montant qui aurait doublé entre 2018 et 2021, durant le quinquennat Macron. Et encore, ce chiffre est très certainement sous-estimé : les sénateurs n’ont pas eu accès à l’ensemble des prestations commandées par les nombreuses agences dépendant des ministères…

Des cabinets omniprésents

À la Une des médias, « l’affaire McKinsey » (1) a fait découvrir au grand public l’omniprésence des cabinets privés au plus haut sommet de l’État.

Le recours à des sous-traitants n’est pourtant pas un phénomène nouveau. Il concerne toutes les politiques publiques, des plus hautes sphères de l’État aux petites collectivités, dans des proportions bien entendu très variables.

« Réflexe automatique »

Pierre Gauthier a été directeur de l'action sociale de 1994 à 2000. DR

« L’administration ne peut pas tout faire en régie, explique Pierre Gauthier, qui fut à la tête de la Direction de l’action sociale (actuelle DGCS) de 1994 à 2000, avant de diriger l’agence régionale de l’hospitalisation (ARH) de Midi-Pyrénées de 2000 à 2010. Elle ne peut pas faire autrement que de faire appel à des prestataires, comme des cabinets d’avocats ou des conseillers médicaux par exemple ».

L'ancien directeur nuance : « En revanche, les mauvaises habitudes sont très vite prises et le recours aux prestataires peut devenir, au lieu d'un besoin fonctionnel ponctuel, un réflexe presque automatique qui dispense de se poser la question des moyens dont on dispose en interne. »

« Aveuglement idéologique »

Pour ce haut fonctionnaire retraité qui a découvert McKinsey sur les bancs de l’École nationale d’administration (ENA) en 1971, l’emprise massive des cabinets sur les politiques publiques est d’abord « le résultat d’un aveuglement idéologique consistant à considérer que tout ce qui vient de McKinsey et consorts est parfait ».

C’est aussi le fruit du « dépérissement des services devenus parfois squelettiques » suite à la politique de réduction des coûts et de révision générale des politiques publiques (RGPP) mise en place à partir de 2007.

L'âge d'or

Jean-Pierre Hardy, qui fut chef du bureau de la réglementation financière et comptable à la Direction générale de l’action sociale (DGAS) entre 2000 et 2009, puis directeur délégué aux solidarités et au développement social à l’Association des départements de France (ADF) de 2010 à 2015, partage cette analyse.

« Moi, j’ai vécu l’âge d’or avant la RGPP, on faisait nos études nous-mêmes. Il y a eu une tradition de développement, de recherche et d’innovation à la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (Ddass), avec des études de population, des réflexions sur la prise en charge... »

Fongibilité asymétrique

Jean-Pierre Hardy fut chef du bureau de la réglementation financière et comptable à la DGAS. DR

Une époque qui semble révolue. « Cette politique de réduction du nombre de fonctionnaires s’est accompagnée du principe de fongibilité asymétrique des crédits, qui rend impossible tout retour en arrière », dénonce Jean-Pierre Hardy.

« Vous pouvez supprimer des postes, des administrations, passer à la sous-traitance. Même si celle-ci est plus chère et peut-être moins efficace. Mais vous ne pouvez jamais revenir en arrière : car vous devez respecter des règles budgétaires qui autorisent à utiliser des crédits pour des prestations de service, pas pour des dépenses de personnel. »

« Un bon attaché plutôt que trois consultants »