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Interview11 décembre 2020
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"Le RGPD place des garde-fous et peu d'interdictions"

Ce 15 décembre aura lieu le 3e webinaire proposé par l'IRTS Ile-de-France et Le Media social autour des enjeux du numérique dans le travail social. Membre de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), Éric Delisle revient sur quelques principes essentiels de la protection des données.

Vous êtes notamment en charge, au sein de la Cnil, des questions sociales. Avant d'entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous rappeler les grandes missions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ?

Éric DelisleGrossièrement, la Cnil a deux grandes fonctions. D'une part, elle accompagne, conseille tous les acteurs dans l'usage de l'informatique. D'autre part, elle joue un rôle de gendarme, en administrant si besoin des amendes. Mais sachez que l'ADN de la Cnil est davantage dans l'accompagnement que dans la sanction (il y en a eu entre 15 et 20 en 2020).

Dans le domaine social, à ma connaissance, aucune sanction n'a été prononcée. Une dernière chose : la Cnil emploie 215 personnes ; c'est beaucoup moins qu'en Allemagne où notre équivalent compte 700 employés.

Depuis l'arrivée du règlement général sur la protection des données (RGPD), observez-vous des changements dans les pratiques des travailleurs sociaux ?

E. D.Nous avons assisté chez les travailleurs sociaux à une vraie prise de conscience depuis 2018, date de la mise en œuvre de ce règlement européen. Avant, ils étaient nombreux à ignorer jusqu'à l'existence de la Cnil.

Quelle perception ont les travailleurs sociaux de ce règlement ?

E. D.Nous avons constaté que circulent de nombreuses idées fausses. Par exemple, on, considère généralement que l'obligation d'obtenir le consentement bloque de nombreuses actions. Cette question a été mal comprise car il n'existe pas de blocage réel. Reconnaissons que cette question du consentement a fait beaucoup de tort au RGPD.

Autre idée erronée : il serait impossible de traiter des informations religieuses. En fait, si on résume la démarche, le RGPD assène très peu d'interdictions, mais place plutôt des garde-fous.

En 2019, vous avez rendu public à destination des travailleurs sociaux un « kit d'information pour protéger les données de vos publics ». Quels objectifs poursuiviez-vous ?

E. D.Il faut savoir que nous sommes en contact avec le terrain, via les départements, les fédérations associatives, etc. L'objectif de notre kit est de fournir aux travailleurs sociaux des outils pratiques très simples d'utilisation. C'est l'occasion de rappeler certains grands principes.

Sauf que ce n'est pas simple à appliquer au quotidien. Par exemple, sur le tri des informations, comment discerner si une information qu'on va renoncer à demander ne va pas être finalement utile ?

E. D.Sur les données, il existe deux cas de figure : soit des textes précisent celles qu'il est possible de recueillir et la tâche est simple ; soit, ils n'existent pas et on doit se poser la question des données dont on a vraiment besoin.

Je vais prendre un exemple plus général pour illustrer mon propos. Lorsque les gens candidatent pour un emploi, on leur demande généralement au préalable leur numéro de sécurité sociale. Pourtant, ce n'est utile que s'ils sont embauchés.

Les travailleurs sociaux sont souvent confrontés à des situations sociales difficiles. Faut-il encore leur rajouter des obligations ?

E. D.C'est vrai, j'entends souvent que les travailleurs sociaux ont le sentiment qu'on va les empêcher de travailler. Ne nous trompons pas de propos ! D'abord, leur public est composé de gens souvent fragiles qu'il importe de protéger. D'autre part, l'objectif n'est pas de protéger les personnes des travailleurs sociaux qui les accompagnent, mais de tous ceux qui peuvent faire des usurpations d'identité (chose d'autant plus facile qu'on dispose d'une connaissance fine de la personne) et pirater des données. Ces situations sont beaucoup plus graves pour des personnes déjà fragiles. Il faut donc prendre des précautions.

Avez-vous le sentiment d'être davantage entendus ?

E. D.Le message passe de mieux en mieux. Il faut savoir qu'à la demande du terrain, la Cnil intervient auprès des acteurs et des fédérations pour accompagner les évolutions. Notre message est simple : nous demandons aux uns et aux autres de faire en sorte que les outils informatiques soient sécurisés. Je pense à certains outils de visio qui transfèrent leurs données en Chine ou aux États-Unis. Si on ne peut s'offrir des outils sécurisés et coûteux, il faut prendre quelques précautions, notamment ne pas laisser des traces et se déconnecter systématiquement.

Venons-en à un autre enjeu : les algorithmes. Dans un texte commun avec le Défenseur des droits, en 2020, vous attirez notre attention sur le risque de discrimination. Pouvez-vous nous expliquer ?

E. D.Les algorithmes se nourrissent de ce qu'on leur donne. Si les données que nous avons en matière d'embauches, par exemple, traduisent des discriminations, celles-ci se retrouveront dans les algorithmes. Je vous donne un exemple : Amazon rencontrait des problèmes de livraison de colis aux États-Unis. Ses algorithmes ont débouché sur cette conclusion : il ne fallait plus livrer dans les quartiers peuplés majoritairement d'Afro-américains. Pour le dire autrement, les algorithmes sont une construction sociale.

Votre analyse vous conduit finalement à des avertissements démocratiques.

E. D.Tout à fait. Les impacts des technologies sur la démocratie ne sont pas à prendre à la légère. Elles peuvent être porteuses de vrais risques pour la démocratie. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) propose une pédagogie sur ces enjeux. La Cnil est également très vigilante.

Participez au webinaire du 15 décembre !

L'IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne et Le Media social s'associent pour vous proposer quatre webinaires gratuits sur le numérique en travail social.

Après un premier séminaire consacré à l'accompagnement, un second sur l'organisation du travail social, un troisième portera sur les enjeux juridiques et éthiques. Il se tiendra en ligne mardi 15 décembre 2020 de 15h30 à 17h.

Il sera animé par Aurélie Ngo, formatrice à l'IRTS, et par Noël Bouttier, journaliste au Media social. Il est toujours possible de vous y inscrire gratuitement (cliquez ici)

Les trois intervenants sont Éric Delisle, chef du service des questions sociales à la Cnil (interview ci-dessus), Vincent Lewandowski, chef du pôle Action territoriale, formation et accès des jeunes aux droits (Défenseur des droits) et Didier Dubasque, ancien travailleur social, auteur de Comprendre et maîtriser les excès de la société numérique . 

Le quatrième et dernier webinaire aura lieu le 19 janvier 2021 sur le thème : « Quel numérique voulons-nous pour le travail social ? » Vous pouvez dès à présent vous y inscrire (cliquez ici). 

NoëlBOUTTIER
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