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Tribune libre25 mai 2021
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La vie à l'Ehpad : un refuge pour certaines personnes âgées isolées

Directrice d'un Ehpad public en Seine-Saint-Denis, Eve Guillaume nous raconte le quotidien de personnes âgées, arrivées à l'Ehpad parce qu'isolées ou à la rue. Progressivement, accompagnées par le personnel, elles parviennent à créer des liens et s'y sentir chez elles.

Ces dernières semaines, nous avons beaucoup entendu parler des collectifs de famille qui se battent pour assouplir les règles sanitaires dans certains Ehpad. Dans nos établissements, nous avons tous l’image de la personne âgée entourée de sa famille, entrée en Ehpad en dernier recours parce que le domicile n’était plus sécurisant.

Personnes orientées par l'hôpital ou les services sociaux

On a souvent moins conscience de toutes ces personnes qui arrivent dans nos structures seules avec un pantalon, une chemise et parfois un pyjama. Dans beaucoup d’Ehpad, notamment dans le secteur public, elles représentent une part importante du public accueilli. Des parcours de vie rocambolesques ou une maladie qui les a isolées progressivement de leur proche. L’hôpital ou les services sociaux nous les envoie à 85 ans, mais parfois aussi à 61 ans, faute de structure adaptée pour les accueillir.

La douche, une négociation quotidienne

C’est le cas de Madame Pellac qui nous a quittés la semaine dernière à l’âge de 92 ans. Elle était entrée chez nous, il y a 10 ans, et Lumières d’Automne était véritablement devenu sa maison. Elle n’était pas la petite mamie aimante et douce et pourtant, c’était un de nos personnages si attendrissant.

Plusieurs fois nos visages n’ont pu retenir une expression de dégoût à son passage lorsqu’elle laissait derrière elle une odeur d’urine très forte. La douche était une négociation quotidienne entre elle et les soignantes. Lorsque nous avons revêtu nos masques chirurgicaux au début de la crise, elle nous regardait en levant les yeux au ciel : « non mais quel cinéma ! ».

Un cancer fulgurant

Depuis un mois, l’équipe l’accompagnait dans ce que nous savions être les derniers moments de sa vie. Un cancer fulgurant a eu raison d’elle. Pas de famille, pas de proche, les soignantes étaient ses repères. « Je ne veux pas partir seule » a-t-elle exprimé à Valérie, aide-médico-psychologique depuis plus de 20 ans dans l’établissement.

Isolée, dans sa chambre du bout du couloir, qui lui convenait si bien avant la maladie, l’équipe a organisé son déménagement dans une chambre « plus vivante », où les allées et venues des passants rythment la journée. Elle a alors regardé Valérie et en lui caressant la joue lui a murmuré « vous avez toujours été gentille avec moi, je vous aime beaucoup ». Quelques mots doux inhabituels, qui réconfortent et donnent du sens au quotidien. Madame Pellac s’est endormie paisiblement.

La résidente qui ne se sent pas à sa place

« Qu’est-ce que je fais dans cette maison de vieux ! ». Jeannine ne sort pas de chambre. À 75 ans, elle se sent prisonnière de sa situation depuis son arrivée, il y a 5 ans. Chaque année, ou presque, elle monte un dossier pour un foyer logement qui lui est toujours refusé au motif d’une prise en charge médicale trop lourde. Pour elle, c’est l’incompréhension.

Elle ne se reconnaît pas du tout dans les autres résidents accueillis et refuse de s’intégrer. Elle mène une vie solitaire : promenade chez le fleuriste pour personnaliser sa chambre ou encore chez le pâtissier pour « son petit plaisir ».

Elle a tout de même trouvé son petit coin à elle : la lingerie. Elle plie le linge et donne un coup de main à nos deux lingères. Les lendemains de jour férié, elle est au poste dès 8h parce qu’elle sait qu’une grosse journée attend Nadine et Michelle. Pendant tout le confinement, Jeannine venait nous voir : « quand est-ce que je vais pouvoir retourner en lingerie ? ».

De la rue à l'Ehpad

Il y a aussi Abdel, dont le passage de la rue à l’Ehpad, en passant par l’hôpital, a été semé d’embûche. Réapprendre à vivre en collectivité, avec certaines règles, un véritable calvaire pour lui. Il a passé des semaines à pointer la charte des droits et libertés et chacune de nos incohérences : « c’est pire que la prison ici ! ».

Aujourd’hui, il a trouvé sa place après de longs débats avec les soignantes, durant lesquels il citait 15 citations de philosophe à la minute pour nous démontrer qu’il n’était pas comme les autres « papis et mamies d’ici ». Depuis, il passe ses journées à lire dans sa chambre ou le jardin et participe à certaines animations.

Des Abdel, nous en avons plusieurs. Débarqué en Ehpad avec un consentement plus ou moins exprimé parce que dans l’imaginaire de tous, ce sera toujours mieux que la rue ! Pourtant la transition est longue et l’établissement pas toujours adapté.

Pas d'assistante sociale

Accompagner ces personnes, c’est la force de nos établissements publics même si nous devons reconnaître que nous n’avons pas toujours les moyens de nos ambitions. Sans assistante sociale dans nos structures, il est parfois difficile d’accompagner ces personnes à recouvrir leurs droits, voir à les accompagner vers une structure plus adaptée à leur degré d’autonomie.

Les soignants, les lingères, les hôtelières et les autres membres de nos équipes regorgent d’ingéniosité chaque jour pour améliorer le quotidien des résidents, pour qu’ils se sentent accueillis et progressivement chez eux dans notre établissement.

Un carnet de bord à quatre voix

En ces temps de crise sanitaire, les missions du travail social et médico-social sont, chaque jour, remises sur la table et de plus en plus placées sous le regard du grand public. Si, voici quelque temps, il était (peut-être) possible de vivre caché pour vivre heureux, ce n'est plus possible. Il faut exposer les situations, argumenter, se poser des questions. Qui mieux que les professionnels sont en mesure de nous rendre compte de leur vécu.

Ce n'est pas tout à fait une première pour Le Media social. Lors du premier confinement, nous avions proposé à Ève Guillaume, directrice d'Ehpad en Seine-Saint-Denis, de tenir un carnet de bord hebdomadaire. Les réactions de nos lecteurs furent très positives puisqu'on permettait à chacun de rentrer dans la « cuisine » d'un Ehpad.

Voilà pourquoi Le Media Social a décidé de prolonger cette expérience en lançant ce carnet de bord hebdomadaire à quatre voix *, les voix de quatre professionnelles de secteurs différents. Pour « ouvrir le bal », nous avons demandé à Ève Guillaume (de nouveau), Christel Prado, Dafna Mouchenik et Laura Izzo de tenir à tour de rôle ce carnet de bord. Qu'elles en soient ici remerciées. Évidemment, ces chroniques appellent le témoignage d'autres professionnels. À vos claviers !

* Les propos tenus par les professionnels dans le cadre de ce Carnet de bord n'engagent pas la rédaction du Media social. 

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