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Article02 octobre 2019
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La confiance : comment la retrouver et la cultiver

Lors des journées de l'Andass, regroupant les directeurs de la solidarité des départements, la question posée était celle de la confiance dans la société. De nombreux acteurs, religieux, politologues, cadres, etc., ont proposé leurs doutes et leurs réflexions. Plongée au Puy.

Andass... audace : les mots sont proches et cette proximité n'est sans doute pas le fruit du hasard. Pour cette association qui regroupe une grande partie des directeurs généraux adjoints en charge de la solidarité dans les départements et dont les avis sont soigneusement examinés, faire réfléchir les praticiens suppose de déplacer les regards, de faire un pas de côté. Ce fut une fois encore le cas lors des journées de l'Andass qui se tinrent, une fois n'est pas coutume dans deux départements (la Loire et la Haute-Loire).

Le Grand rabbin Korsia et l'évêque Crépy

Peur ou courage

Pour ouvrir cette réflexion, l'Andass a osé donner la parole à des hommes d'Église. Pour parler de la confiance - question essentielle dans la religion -, l'évêque local Mgr Luc Crépy et le Grand rabbin Haim Korsia (1) ont parlé de leurs convictions, mais aussi de leurs doutes. « Le terme de foi exprime l'idée de confiance alors que notre monde est dominé par la peur » , assure l'évêque. Celui qui préside, au sein de l'Église catholique, la commission sur la pédophilie, explique que pour lui, « la foi ne peut être source de division, mais au contraire de courage. » 

Le loup et l'agneau

Le Grand rabbin de France tient un discours assez proche. Mêlant avec maestria citations de l'Ancien Testament, réflexions footballistiques et blagues juives, celui qui fut longtemps aumônier des armées estime que « l'inverse de la confiance, c'est la peur. Quand vous avez peur, vous êtes tétanisés. Quand vous avez confiance, vous avancez ». Haim Korsia ne tombe pas dans un discours béat. Il rapporte une blague new-yorkaise : « Viendra un jour où le loup et l'agneau dormiront ensemble. Mais ce jour-là, l'agneau ne dormira que d'un oeil. »  La confiance n'empêche pas une certaine vigilance. 

Jean-Paul Raymond, président de l'Andass

« Ne plus vivre dans l'ébriété » 

Ces réflexions théologico-pratiques ne sont pas sans lien avec les interrogations des professionnels. Président de l'Andass, Jean-Paul Raymond résume la situation. « Ce qui provoque de la défiance, explique-t-il, c'est la compétition entre les pouvoirs, le conformisme, les organisations très hiérarchisées, la promotion du mérite individuel. » Et celui qui dirige la Dases à Paris d'ajouter : « Il nous faut inventer de nouvelles manières de faire, ne plus vivre dans l'ébriété qui est le contraire de la sobriété ». Jean-Paul Raymond note que son organisation n'a pas attendu l'émergence des Gilets jaunes pour se saisir de la question de la confiance.

Reconstruire la confiance

Justement, la confiance vis-à-vis des institutions est au plus bas dans la société française. « Seulement 9 % des personnes font confiance aux politiques », rapporte le chercheur Romain Pasquier. Il cite plusieurs facteurs de défiance : « la dilution de la responsabilité politique », « la décentralisation inachevée », la fin de l'aménagement du territoire... Pour « reconstruire de la confiance », il avance plusieurs voies. Alors que le discours ambiant est au statu quo, il plaide au contraire pour une réforme organisationnelle et pour une autonomie locale. « Les élus locaux doivent être producteurs de normes », ose-t-il. 

Le bowling et l'individu

Cette question de la défiance n'est pas nouvelle - même si elle est plus sensible aujourd'hui. Dès 2007, deux intellectuels (2) publient l'ouvrage La Fabrique de la défiance. Quinze ans plus tôt, l'Américain Robert Putman avait publié un article devenu célèbre, « Faire du bowling tout seul ». Il expliquait que le nombre de membres de clubs de bowling s'était effondré alors même que le nombre de pratiquants avait grimpé. L'individualisme produisait des ravages jusque dans les bowlings.

« La maladie est une période d'apprentissage »

L'universitaire d'origine italienne Emmanuele Ferragina propose une catégorisation des sociétés occidentales. « Là où la participation associative est forte, la confiance l'est aussi. » Et il estime que la variable la plus importante pour comprendre les sociétés, ce sont les inégalités. L'université des patients participe de cet objectif de construire de la participation. Elle vise à fournir un corpus de connaissances et de réflexions à des personnes atteintes par la maladie ou à leurs proches. « La maladie est une période d'apprentissage », explique Marie-Paule Vannier, une des responsables de cette université.

Le sens du travail social

DGA de la solidarité en Gironde, Pascal Goulfier s'interroge sur le sens du travail social : « Est-ce qu'une assistante sociale travaille sur le terrain cette question de la confiance ? » Il reconnaît aujourd'hui la difficulté à créer de la confiance dans un climat où l'Europe, la mondialisation, la décentralisation floue suscitent de la peur.

Le génie de Michel Rocard

Quelles voies emprunter ? Il faut tâtonner, proposer des voies nouvelles pour l'expression des gens, sans hésiter à utiliser de nouveaux canaux, notamment artistiques. Il faut également sortir des habitudes, combattre les frilosités. Parfois, la méfiance arrivée à son stade ultime met en danger la vie en commun. La Nouvelle-Calédonie a ainsi été le théâtre de violences civiles très fortes dans les années 80 (responsables de 90 morts). Christophe Bergery, secrétaire général de la province Sud, explique que « le génie de Michel Rocard (3) a été de proposer des institutions qui obligent les Kanaks et les Caldoches à gouverner ensemble. » La confiance se retisse ainsi pas après pas.

Lors de l'atelier sur le management et la confiance.

Révolution dans l'aide à domicile

Dans le quotidien des organisations, des changements sont également possibles, voire souhaitables, pour faire revenir la confiance, ou la faire émerger. La structure d'aide à domicile Alenvi a ainsi révolutionné le fonctionnement de ce secteur en confiant aux aides à domicile le soin de gérer de façon coopérative les plannings. Et, explique Guillaume Desnoe, co-fondateur, cette organisation fonctionne même quand il faut assurer en urgence un remplacement. 

Montrer sa vulnérabilité

Il faut travailler en confiance avec les collaborateurs sans se payer de mots. C'est parfois difficile car il faut remettre en cause certaines certitudes. Par exemple, explique Antoine Haguenauer, incubateur de services numériques, « le manager doit accepter de montrer sa vulnérabilité. »  Rédactrice en chef de la revue Médias locaux, Laurence Limouzy estime que faire confiance, « c'est un moyen d'acquérir du savoir. » Ne rien faire nous condamne à renoncer à construire de la confiance. Et de citer cette formule de Péguy : « Il y a pire que les âmes perverses, il y a les âmes habituées. »

L'exemple de Moïse

Et pour conclure cet état des lieux, on se tourne vers le Grand rabbin qui a proposé ce rapprochement, pour le moins osé : « Il faut réenchanter les promesses. Ce qu'a fait Moïse en son temps, on peut le faire ». Chiche ? 

(1) Des représentants protestant et musulman devaient également intervenir.

(2) Yann Alcan et Pierre Cahuc.

(3) Michel Rocard est alors premier ministre de François Mitterrand. 

NoëlBOUTTIER
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