menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Article20 novembre 2019
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Protection de l’enfance : trente ans après, la CIDE reste une boussole

Le 20 novembre 1989 était adoptée à l’ONU la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). En quoi ce texte historique peut-il encore concerner les professionnels de la protection de l’enfance, en 2019 ? Eclairages croisés.

Que faisiez-vous le 20 novembre 1989, lorsqu’a été adoptée la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) ? Même pour les grandes voix de la protection de l’enfance, il demeure plus facile de remonter d’un cran, au 9 novembre, date de la chute du mur de Berlin… « La convention est en fait passée assez inaperçue lorsqu’elle a été adoptée aux Nations-Unies », confirme Geneviève Avenard, Défenseure des enfants, qui à l’époque dirigeait les affaires sociales du département de l’Eure-et-Loir. Les professionnels pouvaient alors se sentir davantage concernés par la toute récente loi du 10 juillet 1989, sur la prévention des mauvais traitements et la protection de l’enfance...

Frissons

Et pourtant, adopté à l’unanimité par l’assemblée générale des Nations-Unies, ce texte pouvait bien déclencher quelques frissons, avec ses 54 articles énonçant, tour à tour, le droit pour chaque enfant d’aller à l’école, de ne pas faire la guerre, de jouer, ou encore d’être aimé… Mais après ? Ces principes universels allaient-ils donc embellir le quotidien des enfants placés ou des éducateurs spécialisés ? En réalité, « à cette époque, la convention n’a entraîné aucune modification de textes de loi en France », remarque Geneviève Avenard. Cette même loi du 10 juillet 1989, par exemple, répondait à l’avance à l’article 19 de la CIDE « contre les mauvais traitements »

« Une référence pour personne » 

Dès lors, « il a fallu beaucoup de temps avant que ces droits de l’enfant soient connus, paradoxalement, par les professionnels chargés de le protéger », rapporte Fabienne Quiriau, directrice générale de la Cnape, qui fédère des associations du secteur. Jean-Marie Vauchez, aujourd’hui président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones), peut lui-même le confirmer : « Au début des années 90, dans mon équipe de prévention spécialisée, la CIDE n’était une référence pour personne ! »

La Cour de cassation s'en mêle

La justice, heureusement, s’est chargée de préciser que cette convention internationale, ratifiée par la France dès 1990, était bel et bien d’application directe dans le pays. Ainsi devrait-il être tenu compte, désormais, de « l’intérêt supérieur de l’enfant », dans toute décision le concernant, comme énoncé puissamment par l’article 3 de la CIDE. La Cour de cassation elle-même le confirmera, en 2005, après que la demande d’audition d’une enfant, dans une affaire opposant ses parents, avait été ignorée par la justice… « Le grand apport de la CIDE a été de nous recentrer ainsi sur les droits de l’enfant, son intérêt supérieur et ses besoins fondamentaux », commente Fabienne Quiriau.

De 2007 à 2016

Et même si cette convention s’appliquait déjà de fait, la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a fini par en livrer une traduction expresse pour tout le secteur. « L'intérêt de l'enfant, la prise en compte de ses besoins fondamentaux, physiques, intellectuels, sociaux et affectifs ainsi que le respect de ses droits doivent guider toutes décisions le concernant », fait-elle, en effet, inscrire, à l’article L112-4 du Code de l’action sociale et des familles...

Par la suite, la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, complétée par ses décrets, permettra de mieux détailler cette retranscription. Par exemple, l’article 9 de la CIDE énonçait déjà le droit de vivre avec ses parents, sauf si la « séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant ». « Depuis 2016 cette subsidiarité est désormais traduite de manière très précise dans les textes », relève Jean-Marie Vauchez. Et en définitive, « ces deux lois ont permis qu’on se préoccupe davantage de l’enfant », conclut Fabienne Quiriau à la Cnape. Auparavant surplombait encore « le filtre des droits parentaux et de l’intérêt des familles »

Remonter à la source

Voilà donc comment la CIDE a fini par irriguer toute la réglementation de la protection de l’enfance en France. Il reste encore, pour les acteurs, à savoir remonter jusqu’à la source. « Les professionnels restent rivés sur les contenus des textes nationaux, et c’est bien dommage », regrette ainsi Violaine Blain, directrice générale du Groupement d’intérêt public Enfance en danger (Giped). « Les lois de 2007 et 2016 ne visent que les dispositifs de la protection de l’enfance, alors que la convention elle-même permet une approche plus large, de la protection de l’enfant, dans sa globalité. » Et une telle source peut offrir un bain de jouvence.

Moins stigmatisant

Auprès des enfants eux-mêmes, « travailler sur les droits est moins stigmatisant que d’aborder spécifiquement la maltraitance », explique Violaine Blain. Voilà pourquoi, pour ce 30e anniversaire de la CIDE, le Giped vient de rééditer un livret expliquant en quoi son numéro d’appel est « au service des droits de l’enfant »… Du principe de non-discrimination (article 2) à la protection contre l’exploitation sexuelle (article 34), le Giped y détaille toutes les réponses que le 119 peut apporter aux jeunes appelants. « La CIDE est un outil qui mériterait d’être davantage exploité », commente la directrice générale.

La paix avec les parents

Avec les parents, ce traité peut même aider à faire la paix. « On trouvera plus facilement un consensus avec eux autour du droit à la santé de leur enfant, plutôt qu’en les renvoyant à leurs culpabilités », comme l’explique Fabienne Quiriau. « C’est un très bon vecteur que les professionnels peuvent utiliser pour ramener les parents vers l’enfant », confirme, à son tour, Violaine Blain.

Un levier pour les équipes

Dans les établissements et services, la CIDE peut même être « un levier de l’action éducative », comme l’espère Baptiste Cohen, coordinateur de la protection de l’enfance, à la fondation des Apprentis d’Auteuil. Et pour ses équipes, illustre-t-il, la convention figure parmi « les racines qui permettent de tenir debout face aux jeunes ».

En tant qu’éducateur spécialisé, Jean-Marie Vauchez juge lui-même que « cette notion d’intérêt supérieur de l’enfant donne à notre travail une direction et un sens - d’où découle, ensuite, un cadre méthodologique, pour structurer notre réflexion ». Geneviève Avenard peut même en élargir encore la portée : « Cette approche par les droits fournit des grilles de lecture et des points de vue partagés entre les institutions - et en leur sein, entre les encadrants et les professionnels de terrain. »

Boussole

En définitive, la convention de 1989 « a fait émerger l’enfant dans la protection de l’enfance », comme le dit joliment Fabienne Quiriau. Et trente ans après leur consécration, ces nouveaux droits humains « restent porteurs d’amélioration et d’espoir ». En somme, « la CIDE montre toujours le chemin à suivre », conclut Geneviève Avenard. La Défenseure des enfants n’en déplore que davantage « sa méconnaissance par les professionnels, alors qu’elle est toujours aussi importante, actuelle et pertinente »... Puisse ce trentième anniversaire remettre cette précieuse « boussole » dans les mains des acteurs de la protection de l’enfance.

OlivierBONNIN
ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres