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L'approche du "rétablissement" infuse dans le travail social

Longs FormatsSophie LE GALL10 novembre 2022
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Le rétablissement, qui pourrait passer pour un concept tendance parmi d’autres, s’appuie pourtant sur un historique solide. Articulé autour de l'entraide entre pairs et d'un accompagnement social axé sur le renforcement du pouvoir d'agir, l'autodétermination, l'inclusion... il permettrait, estiment certains, de revenir au cœur du travail social.

Depuis quelques mois, les projets d’établissement orientés sur le « rétablissement » fleurissent… notamment quand il s’agit de décrocher un financement dans le cadre d’un appel à projet. Pourtant, contrairement aux apparences, il ne s’agit pas d’un nouveau concept.

Les racines du rétablissement remontent même au milieu du XIXe siècle, aux États-Unis, quand de petits groupes d’anciens buveurs se réunissaient pour se soutenir dans leur démarche d’abstinence, avant de prendre le nom d'Alcooliques Anonymes (AA). Les participants se considéraient « en rétablissement » aussi longtemps qu’ils faisaient des efforts pour s’éloigner de l’alcool et retrouver un sens à leur vie.

Se rétablir plutôt que guérir

Le parcours de rétablissement, consistant à reprendre pied et le contrôle de sa vie en surmontant les conséquences de la maladie mentale, est venu remplacer l'objectif de « guérison » dans les années 70, sous le terme de « recovery ». Canva

L’approche connaît un second chapitre dans les années 1970 avec l’émergence dans des pays anglo-saxons du « recovery » sous l’impulsion de patients en santé mentale et de chercheurs, eux-mêmes parfois concernés par la maladie. Dans un mouvement de rejet de la psychiatrie traditionnelle, le parcours de rétablissement vient alors remplacer l’objectif de guérison.

Un tournant paradigmatique

Il vise l’amélioration de la qualité de vie et l’augmentation du pouvoir d’agir, en surmontant les conséquences des problématiques de santé ainsi que leurs répercussions psychosociales. Un changement d’approche du malade et de la maladie, aujourd’hui perçu comme un tournant paradigmatique, présentant un double intérêt : des usagers qui ont davantage de contrôle sur leur vie et des professionnels qui trouvent plus de satisfaction dans leur travail.

Inspirer l'espoir

Ces professionnels sont ainsi invités à « être attentif aux objectifs qui sortent la personne de son rôle de malade » ; à « renforcer les stratégies d’adaptation existantes » ou encore à « donner des exemples qui inspirent l’espoir », selon le docteur Marie-Cécile Bralet, psychiatre, responsable de Crisalid, centre de réhabilitation psychosociale intersectoriel pour la schizophrénie et d’aide à l’autonomie individualisée.

Réhabilitation psychosociale

En France, l'infusion du concept de rétablissement en France est à rapprocher des pratiques de « réhabilitation psychosociale », ou du succès des groupes d’entraide mutuelle (GEM). Ici, le GEM de la Maison de l'autisme, à Mulhouse. Olivier Bonnin pour Le Media Social

En France, le rétablissement, que l’on peut rapprocher des pratiques de « réhabilitation psychosociale » ou encore du succès des groupes d’entraide mutuelle (GEM), apparaît au début des années 2000 dans le secteur de la santé mentale, pour ensuite essaimer progressivement dans les établissements médico-sociaux, puis dans le secteur social et celui de l’insertion.

Si le courant demeure aujourd’hui mineur, il est validé par les autorités publiques, et ainsi cité comme l’une des bonnes pratiques en santé mentale dans la « loi de modernisation de notre système de santé » du 26 janvier 2016.

Empowerment et pair-aidance

Pour accompagner la personne malade ou en difficulté sociale dans l’adoption d’une nouvelle façon de se penser et de se projeter dans l’avenir, le rétablissement s’appuie sur deux outils connexes, l’empowerment et la pair-aidance. Ainsi, les agences régionales de santé (ARS) qui soutiennent son développement financent des postes de travailleurs pairs ou de médiateurs en santé dans les établissements « orientés rétablissement ».

Le dispositif « Un chez soi d’abord » (lire notre entretien ci-dessous), qui propose, sans condition préalable et avec le soutien de pairs-aidants, un logement à des personnes à la fois atteintes par des troubles psychiatriques et en situation de précarité, est l’exemple le plus emblématique de la diffusion de l’approche de rétablissement hors du strict secteur de la santé mentale.

Des passerelles

Anne-Sophie Lavaud-Rousseau, directrice déléguée à l’autonomie et à la santé des populations vulnérables à l’ARS Nouvelle Aquitaine, remarque que « la volonté de plus en plus marquée de mettre en place un accompagnement global nécessite que les secteurs de la santé mentale et du social adoptent une philosophie commune, ce qui permet de créer des passerelles pour la diffusion de l’approche de rétablissement ».

Elle cite, à titre d'exemple, « des centres médico-psychologiques (CMP) qui se rapprochent de résidences relais, ou encore des structures sociales qui s’investissent dans l’accès aux soins ».

Une bonne appropriation

Jean-Luc Gautherot, ingénieur social, estime que le rétablissement est un concept qui n'a pas perdu de sa force en s'incarnant sur le terrain. DR

L’exportation du concept de rétablissement de la santé vers le social pose la question de la possible altération de son sens initial.

Jean-Luc Gautherot, ingénieur social (1), spécialiste des « notions floues » dans le travail social - comme l'inclusion ou le pouvoir d'agir - estime que « si le rétablissement fait partie de ces concepts mobilisateurs et donc flous, il n’a pas pour l’instant perdu de sa force en passant des scientifiques qui l’ont théorisé aux professionnels de terrain qui se le sont approprié ».

Éviter la pensée unique  

Assistant de service social au centre ressource de réhabilitation psychosociale, rattaché au centre hospitalier Le Vinatier (Lyon), Michel Garnier observe que des établissements « affichent "faire du rétablissement" mais comme ça les arrange, c’est-à-dire pas trop », mais ne plaide pas pour autant pour le « tout rétablissement ».

« Le rétablissement a suscité un engouement en psychiatrie après le "tout neurosciences", explique-t-il. Aujourd’hui, les financements vont aux projets étiquetés rétablissement alors que tous les patients et tous les professionnels ne peuvent pas s’y retrouver. On est confronté  aux dangers de la pensée unique ».

« Les conditions de la rencontre »

Luc Decourty, président d’une antenne du mouvement d’Habitat et Humanisme, se positionne, lui, pour une définition très souple de la démarche de rétablissement : « en fait, dès que l’on met en place les conditions de la rencontre ».