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L'alternance intégrative fonctionne-t-elle efficacement ?

Longs FormatsAudrey GUILLER03 mars 2020
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Sur le terrain, ce pilier de la formation des étudiants en travail social qu'est l'alternance "intégrative" a été bousculé par une pénurie de stages. Textes de lois et instituts de formation insistent pourtant pour que les structures accueillant des stagiaires soient de plus en plus impliquées dans le parcours des étudiants. Suivront-elles ?

lls ne les appellent plus « stages » mais « formation pratique » : les textes de la réforme de 2018 des diplômes en travail social réaffirment ainsi l'importance de l'alternance intégrative. Les institutions accueillant les étudiants ne sont pas simplement considérées comme des terrains où ces derniers mettraient en pratique des savoirs théoriques. Mais comme des sites qualifiants qui concourent directement à la formation du futur professionnel, en partenariat et à égalité avec les instituts de formation.

De nouvelles formes de stages

Dans les nouveaux cursus de formation, le nombre de semaines consacré aux stages n'a pas diminué. Mais la réforme permet de nouveaux formats : des stages proposés non plus par une seule institution mais par un réseau ou par plusieurs partenaires ; des diagnostics de territoire ou analyses des besoins sociaux commandés par des collectivités. Cette diversification permet d'accompagner une réflexion : Qu'attend-on des futurs professionnels et comment les y former ?

Solution de contournement

C'est aussi une solution de contournement. Les futurs éducateurs spécialisés (ES) et assistants de service social (ASS) sont désormais autorisés à scinder en deux leur durée minimale de stage ou à l'effectuer sur plusieurs sites. « Cela pourrait morceler encore davantage la construction de l'identité professionnelle », craint l'Association nationale des assistants de service social (Anas). Mais cet aménagement est destiné à pallier la pénurie de terrains de stages qui complique la vie des étudiants depuis dix ans.

Le problème de la gratification

Corentin Vernet, en 3e année d'éduc spé. DR

« L'année dernière, j'ai eu beaucoup de mal à trouver un stage. J'ai élargi ma recherche à 70 km de chez moi », explique Corentin Vernet, en 3e année de diplôme d'État d'ES (DEES) et secrétaire du « Collectif d'actions », l'association des étudiants de l'Institut régional du travail social (IRTS) de Champagne Ardennes.

Depuis 2009, la loi oblige les employeurs à gratifier financièrement les stages de plus de deux mois. Ceux-ci sont donc devenus rares. « Certains collègues obtiennent de super évaluations, mais ils ont plutôt fait un boulot d'aide-soignant, poursuit-il. Les formateurs de l'institut nous aident grâce à leur réseau. Mais cela reste compliqué. Notre collectif compte organiser des séances de "stages dating". »    

Un choix budgétaire

Un formateur du sud de la France, qui préfère rester anonyme, confirme le problème : « Toutes les institutions connaissent des restrictions budgétaires et un stagiaire, ça a un coût. Certaines tiennent à intégrer cet accueil dans leur budget. Mais pour d'autres, c'est le premier poste qui saute. Parfois, la structure renonce à des remplacements pour prendre des stagiaires gratifiables, qui sont alors placés dans une situation inconfortable. »

Les difficultés ne sont pas terminées. Avant, seule la moitié des étudiants en travail social était concernée par la gratification. L'autre, sous statut de stagiaire de la formation professionnelle, voyait ses stages rémunérés par Pôle Emploi.

« Maintenant que les formations en travail social figurent dans Parcours Sup, le nombre de jeunes ayant le statut d’étudiant et devant être gratifiés augmente », explique Virginie Gresser, directrice générale de l'IRTS de Franche-Comté.

Des coûts pour les étudiants

Virginie Gresser, directrice générale de l'IRTS Franche-Comté. DR

Elle souligne que cela n'est pas le seul obstacle aux stages : « La mobilité des étudiants et le coût des stages peuvent être d'autres freins. Certaines agences régionales de santé (ARS) consacrent des enveloppes financières à soutenir l'accès aux stages. »

Pour s'adapter à la situation, l'équipe de son IRTS a intégré les nouvelles formes de stages dans ses projets pédagogiques : « Cependant, le stage long de troisième année reste essentiel ».

Parallèlement, certains étudiants sont mal accueillis en stage. Hélène (1), éducatrice spécialisée stagiaire, l'a vécu : « L'équipe que j'ai intégrée m'a fait comprendre que ma présence les désorganisait. Plusieurs professionnels avaient récemment démissionné. Ceux qui restaient étaient surchargés ou en mal-être. »

Beaucoup d'établissements connaissent actuellement des mutations et réorganisations importantes. Pour les équipes, parfois malmenées ou tendues, l'accueil d'un stagiaire est de trop.

Un moyen de pression

« Cela peut aussi devenir un moyen de pression sur l'institution, observe le formateur du Sud. Quand la direction presse un peu trop le citron des professionnels, ils refusent d'accueillir des stagiaires. »

L'équipe que j'ai intégrée m'a fait comprendre que ma présence les désorganisait

Hélène, éducatrice spécialisée stagiaire

La fonction de transmission entre pairs, des anciens vers les nouveaux, a toujours existé dans le secteur. Elle était plutôt orale. Certains référents se plaignent d'un accompagnement désormais plus lourd administrativement (lire l'entretien). Et si les travailleurs sociaux ayant eux-mêmes suivi une formation en alternance sont sensibles à l'accueil de stagiaires, certains cadres, qui ne sont plus issus des métiers canoniques, le sont moins.