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Habitat intercalaire : l'hébergement d’urgence en mode transitoire

Longs FormatsFlore MABILLEAU28 juillet 2022
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Face à la pénurie de biens immobiliers dans les grandes agglomérations, les acteurs de l’hébergement d’urgence investissent de plus en plus dans des lieux de façon temporaire. Et créent, dans des bâtiments en transition, des projets innovants où les publics sont mixtes et les usages pluriels.

De l’hébergement d’urgence dans un hôtel cinq étoiles. Dans le très chic quartier de l’Opéra, à Paris, 140 femmes en grande difficulté ainsi que leurs enfants, ont été hébergés durant un an, à partir de mai 2021, dans 75 chambres de luxe.

L’hôtel L - nom de baptême éphémère - fut « un doux écrin pour des femmes en situation d’extrême détresse qui avaient besoin de se poser et de se reposer », explique Aurélie El Hassak-Marzorati, la directrice générale du Centre d’action sociale protestant (CASP), auquel la gestion du projet avait été confiée.

Une mise à disposition

En 2021, 140 femmes en grande difficulté ainsi que leurs enfants ont été hébergés, pour un an, dans 75 chambres de luxe de l'hôtel L, à Paris. Un dispositif géré par le CASP.  DR

« Assembly, le propriétaire des lieux (une foncière spécialiste de la reconversion de bâti, ndlr), dont le projet de transformation avait été freiné par la crise du Covid-19, avait souhaité voir des personnes en situation de précarité occuper l’hôtel durant cette période », détaille la directrice de l’association qui héberge à l’année près de 4 000 personnes en région parisienne, grâce à 600 salariés.

« Cette mise à disposition était gratuite, le CASP devait uniquement régler les fluides. L’hôtel était en très bon état et se prêtait à l’hébergement ; nous avons surtout effectué des travaux pour proposer une cuisine partagée, financée par la région Île-de-France », complète-t-elle.

Un challenge

Un challenge pour cette structure, qui se lançait pour la première fois dans un programme d’habitat temporaire. Au départ, le projet avait été présenté à Caracol. Mais l’association spécialisée dans la création de colocations interculturelles et solidaires ne se sentait pas les reins assez solides pour un tel dossier.

« Nous n’avions pas un modèle économique pour faire tourner un hôtel cinq étoiles », analyse Elisa Desqué, la directrice de son pôle social. Caracol est néanmoins restée associée au projet, créant une colocation LGBTQIA+, habitée pour partie par des réfugiés bénéficiant d’une protection en raison de leur genre ou de leur orientation sexuelle.

Un endroit inédit

Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale du CASP. DR
Franck Mackowiak, directeur de l’immobilier et de la logistique chez Aurore. Mathieu Menard

Des partenariats ont été noués avec la Cravate solidaire, pour coacher les femmes en recherche d’emploi ; des salons ont été transformés en espaces de bien-être avec massage, onglerie, etc. Une vingtaine de salariés (travailleurs sociaux, entretien) a travaillé durant un an au sein de l’Hôtel L.

« Ce cocon était un endroit de vie inédit, voire magique pour ces femmes blessées qui avaient souffert dans leur corps et leurs âmes », rapporte Aurélie El Hassak-Marzorati.

Le boom de l’habitat intercalaire

Les projets d’hébergement d’urgence dans des lieux transitoires, souvent atypiques, mixant usages et populations, se développent actuellement en France, à Paris, mais aussi à Lyon, Marseille, Lille ou encore Toulouse, dans des pavillons, des immeubles, voir des quartiers.

Des programmes nés dans le sillage des « Grands Voisins », ouvert en 2015, sur le site de 3,4 hectares de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul, dans le 14ème arrondissement de Paris. Près de 2 000 personnes y ont habité et travaillé jusqu’en 2020. « Nous avons mené des opérations à différentes échelles, mais la plus emblématique reste celle-ci », observe Franck Mackowiak, directeur de l’immobilier et de la logistique au sein de Aurore.

« Sites intercalaires » 

L’association pionnière, qui accompagne près de 50 000 personnes chaque année, et compte plus de 2 000 salariés, travaille depuis une dizaine d’années sur des projets dits, dans son jargon, « de sites intercalaires ».

« Notre mission première est d’héberger, d’insérer, de soigner les personnes les plus fragiles, rappelle Franck Mackowiak. Nous menons des opérations temporaires parce qu’il n’y a pas une offre immobilière suffisante en Île-de-France, comme dans les autres grandes métropoles françaises. Notre schéma idéal demeure toutefois d’avoir des lieux pérennes, dans lesquels les personnes peuvent se poser, être bien installées ».

Des contraintes financières

Aux Grands Voisins. Le programme a été pionnier en la matière. Depuis, de nombreuses opérations de même type ont été menées par Aurore, mais elle reste la plus « emblématique » à ce jour. Laurent Zylberman

Tous les opérateurs qui se sont lancés dans ce sillage refusent les baux trop courts ou les bâtiments qui impliquent des chantiers titanesques. « Il y a des coûts afférents et des contraintes règlementaires pour pouvoir transformer des locaux en centres d’hébergement d’urgence, prévient Aurélie El Hassak-Marzorati, auparavant directrice adjointe d’Emmaüs Solidarité. Les travaux nécessaires pour transformer des bureaux en établissement recevant du public (ERP) sont importants ! »

La directrice du CASP se souvient : « On nous a proposé un bâtiment dans le 17ème, sept étages, très propre à l’oeil nu. Mais en raison des montants délirants de travaux, et de la durée d’occupation qui n’était que d’un an, nous avons dû abandonner le projet. Pour qu’il y ait de l’habitat transitoire, il faut que les lieux soient rapidement transformables, à moindre coût ».

L’équation est simple : plus les travaux sont importants, plus la durée du bail d’occupation devra être longue, sans quoi le projet ne sera pas financé.

Ne pas rogner sur le suivi social

« Parfois, nous recevons une subvention d’investissement spécifique, mais ce n’est pas la règle, reprend Franck Mackowiak. La plupart du temps, nous n’avons pas de budget spécifique pour l’habitat temporaire : nous disposons d’une enveloppe par personne par jour qui comprend le coût d’accompagnement social comme l’amortissement des travaux. Or, rogner sur le suivi social n’aurait pas de sens pour nous ».

Et ce de d'autant plus que des populations sont déplacées, et qu’elles doivent adapter toute leur vie à cette situation transitoire (travail, scolarisation des enfants, réseau amical, famille).