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Interview23 octobre 2019
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Frédéric Bierry : « A quoi bon contractualiser si l’Etat ne nous respecte pas ? »

Les départements demandent de nouvelles compétences sociales, mais exigent aussi davantage d’autonomie financière. Cette capacité d’agir est nécessaire pour contractualiser avec l’Etat, prévient le président de la commission des Solidarités de l’ADF.

L’Assemblée des départements de France (ADF) était en congrès, du 16 au 18 octobre à Bourges. Y êtes-vous revenus sur vos propositions pour une « nouvelle phase de décentralisation » en matière sociale et médico-sociale, que vous aviez publiées en septembre ?

Frédéric BierryJ’ai moi-même animé à Bourges une table ronde sur l’accueil familial, mais ce qui a été fortement au centre des échanges, au congrès, c’est l’autonomie financière et fiscale des départements.

Ces propositions pour le bloc social et le médico-social résultent, elles, d’un échange entre les membres de notre commission des Affaires sociales. Puisque le gouvernement prépare un projet de loi « 3D », « décentralisation, déconcentration, différenciation », nous avons fait nos propositions en matière de solidarité. Nous pourrions, par exemple, lier les aides à la pierre à nos aides à la personne : cela aurait du sens, pour les départements, de rendre les logements plus économes en énergie tout en changeant le comportement des gens.

Mais jusqu’où décentraliser en matière sociale ?

FBCommençons par aller au bout du transfert de compétences engagé. Il nous faut une répartition claire entre ce qui est dévolu à l’Etat et ce qui revient aux départements. Prenez l’exemple du RSA : c’est l’Etat qui décide de l’augmenter ou non, et c’est ensuite aux départements de payer !

Souhaitez-vous donc que chaque département fixe le montant de « son » RSA ?

FBNon, mais je défends l’autonomie fiscale. Il nous faut pouvoir agir nous-même sur le taux de la taxe foncière (affectée jusqu’ici aux départements, NDLR). Et on ne peut accepter que l’Etat change le montant du RSA sans en compenser le surcoût !

Nous pouvons être dans une logique d’intelligence avec l’Etat. Nous pouvons partager des objectifs, et laisser aux départements la libre administration pour y parvenir. Tel est le type de contractualisation que j’avais proposé, pour l’insertion des allocataires du RSA [1]. A partir d’une ambition partagée, de passer de 6 à 1 mois d’attente pour l’orientation des nouveaux bénéficiaires, l’idée était de s’appuyer sur les bonnes pratiques existantes, pour laisser chaque département appliquer ce qui lui correspond le mieux.

La plupart des départements se sont retrouvés dans cette logique. Entre les girondins et les jacobins, c’est selon moi une forme intelligente de partenariat.

Justement, le gouvernement propose maintenant d’étendre ces contractualisations, avec la stratégie de protection de l’enfance…   

FBMais je crains que cela ne soit remis en cause par les départements, au regard de la non réponse de l’Etat à nos attentes d’autonomie financière. Cela avait pourtant du sens d’appliquer cette démarche de contractualisation à toutes les politiques sociales. Mais cela suppose non seulement notre autonomie fiscale, mais aussi des garanties de l’Etat face à nos dépenses sociales, et une exclusion de tous ces engagements financiers du Pacte de Cahors (qui conditionne les dotations de l’Etat à une modération des dépenses, NDLR).

Annoncez-vous donc l’abandon des contractualisations par les départements ?

FBNous n’en sommes pas là. Mais une partie des départements se demande à quoi bon contractualiser, si l’Etat ne nous respecte pas… Je l’ai dit à Adrien Taquet, au sujet sa stratégie pour la protection de l’enfance. Comment imaginer que l’on puisse travailler en bonne intelligence si nous ne sommes pas respectés ?

Pour les départements, en somme, les contractualisations sont aussi un argument de négociation avec l’Etat…

FBPour moi l’idée est de montrer au gouvernement que si nous n’avons pas l’autonomie fiscale, nous n’y arriverons pas. Et le gouvernement se rend bien compte que nos champs d’action sont essentiels. Et sans nous, il ne pourrait pas agir sur le terrain.

Mais à présent, il avance de nouvelles exigences, tout en nous asphyxiant financièrement... Ce n’est pas ainsi que l’on redonnera envie aux départements de travailler avec l’Etat. Cela me rend amer. J’ai beaucoup donné pour développer une logique constructive !

En étendant la décentralisation sociale et médico-sociale, ne menace-t-on pas l’égalité des droits, d’un département à l’autre ?

FBIl y a bien une nécessité de ne pas avoir deux poids, deux mesures, entre les territoires. Et il faut garantir des fondamentaux, pour la protection de l’enfance ou face au vieillissement. Mais il faut faire confiance aux départements, et à leurs élus, pour tenir compte de leurs réalités et de leurs besoins. Lorsqu’un responsable d’une agence régionale de santé (ARS) visite un Ehpad, il rencontre la direction, fait le tour du bâtiment… Moi (en tant que président du département du Bas-Rhin, NDLR), quand je vais en établissement, je vais, en outre, à la rencontre des pensionnaires et de leurs familles, et je les interroge sur leur quotidien !

Nous proposons d'ailleurs d'expérimenter une habilitation unique des établissements par les départements. Cela libérerait les équipes d'un double temps de travail administratif.

Mais avant de gagner des compétences, les départements ne devraient-ils pas déjà se faire entendre, sur tous ces sujets sociaux ?

FBMoi, j’ai fait un rapport sur l’avenir des politiques sociales, un autre sur l’emploi, j’y ai fait des propositions claires… Et ils ont rencontré très peu d’écho dans la presse ! La protection de l’enfance n'est devenue que depuis peu un sujet médiatique, et tous ces thèmes sont souvent abordés de façon caricaturale. Et si nos sujets sont majeurs, les élus nationaux eux-mêmes les connaissent peu. Je me rappelle avoir parlé d’action sociale à Alain Juppé, qui m’a répondu au sujet de la… protection sociale.

Vous proposez aussi de reprendre aux régions la formation des travailleurs sociaux. Leurs élus ont dû apprécier ?

FBJ’en ai parlé à quelques présidents de régions, qui n’en étaient pas choqués. Puisque nous assumons ces missions sociales, nous sommes quand même les mieux à même de comprendre quelles formations organiser.

Et le gouvernement vous a-t-il fait de premiers retours sur ces propositions ?

FBJ’ai senti Jacqueline Gourault (la ministre des Relations avec les collectivités territoriales, NDLR) plutôt favorable à notre première demande, de parvenir à une répartition claire des compétences. En revanche notre besoin de capacité à agir, avec des moyens financiers autonomes, rencontre une fin de non-recevoir. Si cela doit être définitif, cela impactera les relations entre le gouvernement et les départements. Et cela ne sera pas dans l’intérêt de nos concitoyens.  

[1] Frédéric Bierry avait été chargé par le gouvernement de définir les contractualisations Etat-département pour le volet de l’insertion, en novembre 2018, dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté. Ces contractualisations avaient été proposées dès mars 2018, lors de la concertation menée pour cette stratégie, par le groupe de travail « piloter la lutte contre la pauvreté à partir des territoires », présidé par Mathieu Klein et Joëlle Martinaux.     

OlivierBONNIN
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