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Formations en travail social : des étudiants sur le fil

Longs FormatsFlore MABILLEAU08 avril 2021
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La pandémie a complètement chamboulé les formations du travail social : enseignement à distance, baisse du volume des stages, certifications incertaines. Des bouleversements subis par des étudiants à bout, dont certains décrochent, malgré la mobilisation des centres de formation pour adapter leurs contenus aux exigences du distanciel.

Lessivés, stressés et démoralisés. Les étudiants des formations au travail social ont du mal à imaginer la lumière au bout du tunnel qu’ils traversent. « Sans mes collègues de promo, je serais parti, déprimé et dégoûté », souffle Lary*, 26 ans, apprenti éducateur en deuxième année.

À la difficulté des cours en visio s’ajoute l’angoisse d’arriver à trouver des stages, l’incertitude des conditions d’obtention de leurs diplômes, et, pour certains, les problèmes matériels et le sentiment de solitude.

Renoncements

Une salle de cours de l'IRTS des Hauts-de-France, en février dernier. Sans stages et sans cours en présentiel, les abandons et démobilisations d'étudiants des formations sociales se sont multipliés en France depuis le début de la crise sanitaire. Jeanne Frank/Divergence pour Le Media Social

« Les abandons et les démobilisations se multiplient, notamment dans les rangs de ceux entrés en formation fin 2020, sans stages et sans cours en présentiel, dans une précarité de situation sans précédent », alertaient ainsi à l’unisson l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (Unaforis) et la Fédération nationale des étudiant.e.s en milieu social (Fnems) dans un courrier envoyé le 3 mars dernier à Olivier Véran (lire l'encadré ci-dessous).

Un sentiment d'abandon

« Notre formation se veut sociale, avec des valeurs humanistes, mais on manque de soutien : nous avons le sentiment d’avoir été lâchés, essayant de nous dépatouiller avec l’organisation de la formation, des plannings sans cesse modifiés, des interventions annulées », pointe Lary*.

Lequel souligne les efforts consentis, avec ses pairs : « Nous avons tout de même assuré les rendus, suivi les cours en visio - alors que ma connexion est mauvaise - et trouvé notre stage ! Je me suis senti démuni, j’ai appelé une conseillère pédagogique pour avoir un peu de soutien. Ce sont elle et des camarades qui ont fait office de psychologue… ».

Assurer la continuité pédagogique

Olivier Griffith, chef de projet FOAD/digitalisation à l'IRTS de Montpellier-Perpignan. DR
Olivier Huet, directeur général de l’École pratique de service social (EPSS) Paris-Cergy. DR

Comme toutes les universités, les centres de formations sociales et médico-sociales ont de fait dû s’organiser dans l’urgence pour protéger la santé des formateurs et apprenants, assurer la continuité pédagogique en proposant un enseignement en ligne.

Or, le secteur, exception faite d’une poignée d’acteurs (lire notre reportage ci-dessous), n’était pas franchement à la pointe dans ce domaine...

Pris de court

« Nous n’étions pas prêts - quasi-personne ne l’était - à faire de la formation à distance de qualité au mois de février 2020 », analyse Olivier Huet.

Le directeur général de l’École pratique de service social (EPSS) Paris-Cergy le reconnaît : « Nous avons dû nous réinventer en urgence en nous appropriant des outils numériques que l’on maîtrisait basiquement. Nous commençons à proposer quelque chose qui tient la route, mais toujours en réaction à ce qui se passe. Ce n’est pas une proposition pédagogique qui arrive à l’issue de trois années de développement ».

Nous avons dû nous réinventer en urgence

Olivier Huet, directeur général de l'EPSS Paris-Cergy

Même les écoles qui s’étaient lancées depuis quelques années dans la formation ouverte et à distance (FOAD) ont été prises de court durant le premier confinement, comme l’institut régional du travail social (IRTS) de Montpellier-Perpignan, qui avait pourtant investi cette question depuis 2008, avec une plateforme numérique adaptée.

Du cours en ligne synchrone

« Nous avions imaginé la formation à distance comme étant complémentaire à la formation présentielle, avec des dispositifs pédagogiques où l’étudiant était proactif (des exercices, des quiz, des études de cas pratiques, etc.) mais pas de cours magistraux en ligne, analyse Olivier Griffith, chef de projet FOAD/digitalisation. C’est quelque chose que l’on ne maîtrisait pas… Très vite, nous avons, comme beaucoup de monde, proposé Zoom pour pouvoir faire du cours en ligne synchrone. »

Chacun sa recette

Les écoles ont dû appliquer un strict protocole sanitaire, incluant la fermeture des cafétérias et bibliothèques. Ici, en février dernier, deux étudiantes déjeunent en extérieur, devant l'IRTS des Hauts-de-France. Jeanne Frank/Divergence pour Le Media Social

Avec la reprise en septembre, le deuxième confinement, puis la demande d’Emmanuel Macron de proposer un retour un jour par semaine aux étudiants (tout en respectant des jauges), chaque école a concocté ses propres rythmes anti-Covid, articulant des dosages hétérogènes cours à distance/formation en présentiel, comme pour les « analyses de pratiques » ou les suivis d’écrits par exemple.

Le tout en appliquant un strict protocole sanitaire, incluant fermetures des cafétérias, des bibliothèques, aération des salles et gel hydroalcoolique en perfusion.

Une réadaptation des parcours

« Cette crise a demandé une grosse réadaptation de nos parcours de formation et de notre accompagnement », observe Marie-Luce Rouxel, directrice déléguée à la formation de la Croix-Rouge française, qui recense 18 000 étudiants et apprenants à l’année.

« Nous avons par exemple mis en place des réunions virtuelles pour casser la solitude des étudiants et maintenir la dynamique de groupe, et mis à disposition des formateurs pour les suivre individuellement ».

Prévenir les décrochages

Les suivis personnalisés ont en effet, globalement, été renforcés pour prévenir les décrochages, sans toutefois les éliminer.

« Dans notre école, nous avons tous un formateur référent qui nous connaît bien avec qui nous pouvons avoir des entretiens, avance Mélina Bouguennec, 24 ans, étudiante en deuxième année d’éducateur spécialisé. Mais de septembre à décembre, à la suite de la perte de mon formateur référent, je me suis sentie seule. J’ai tenu grâce à mon stage et à mes tuteurs ».

Des investissements matériels

Morgane Quilliou-Rioual, éducatrice spécialisée et formatrice experte en nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et Internet. Lætitia Delhon pour Le Media Social

Des investissements en matériel - notamment des webcams - ont été réalisés par les écoles ; des postes en FOAD ont aussi été créés : la crise sanitaire a, de fait, entraîné un surcroît de dépenses pour les centres de formation.

Une nouvelle culture pédagogique

« Depuis septembre, un gros travail a été fait pour nous accompagner et nous former sur les plateformes, c’est une nouvelle culture pédagogique à appréhender », observe Morgane Quilliou-Rioual, éducatrice spécialisée et formatrice experte en nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) et Internet, vacataire dans plusieurs structures.