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Femmes et violences conjugales : le travail social en première ligne

Longs FormatsLaetitia DELHON08 juin 2020
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Le confinement a cristallisé la difficile situation des femmes victimes de violence dans le cadre intrafamilial, déjà mise en lumière depuis le mouvement #Metoo. Mais les travailleurs sociaux qui accueillent ces femmes au moment du chaos (au commissariat, à l’hôpital, en hébergement d'urgence...) restent peu visibles. Ils participent pourtant depuis de nombreuses années à l’amélioration du premier accueil.

« Ce sont toutes des guerrières » : Estelle Karchen, assistante sociale du département de l’Hérault, connaît parfaitement la problématique du premier accueil des femmes victimes de violence.

Elle fait partie des pionniers de l’intervention sociale auprès des forces de sécurité : actuellement mise à disposition au groupement de gendarmerie, elle a commencé en 2007 au commissariat de police de Béziers. « À l’époque j’étais un peu perçue comme l’œil de Moscou, arrivée là pour mieux accueillir les victimes, ce qui sous-entendait que les policiers faisaient mal leur travail », sourit-elle.

Estelle Karchen, assistante sociale, a fait partie des pionniers de l'intervention sociale auprès des forces de sécurité. DR

Un territoire pionnier

En quelques mois, l’ambiance se détend, les représentations tombent et les pratiques commencent à évoluer. « Eux s’appuient sur moi pour démêler des situations de conflit de couple complexes, et moi sur eux pour mieux comprendre les rouages des procédures pénales », poursuit Estelle Karchen.

En toile de fond, un territoire lui aussi pionnier sur la question des violences conjugales, avec l’existence de neuf réseaux pluridisciplinaires dynamiques, composés de professionnels de multiples champs - santé, social, police, gendarmerie, justice, département, associatif - qui se réunissent régulièrement, se forment et restent en lien.

Assurer une présence inconditionnelle

Les violences conjugales représentent 80 % de l’intervention des assistants sociaux auprès des policiers et des gendarmes, qui s’inscrit dans le court terme, au plus fort de la « crise ». En gendarmerie, Estelle Karchen travaille beaucoup par téléphone car le territoire est vaste, donne des rendez-vous aux femmes dans « un café, un parc public, parfois même une église ».

C’est toujours un moment particulier. « Pour la femme, c’est souvent le chaos et la rencontre est thérapeutique. Au début je parlais beaucoup, maintenant il m’arrive de me taire, d’être juste une présence inconditionnelle et d’écouter ».

Développer les intervenants en commissariat

L’important, à cet instant : « que la femme se sente comme étant un sujet, un être de valeur. Très vite je reviens sur leur récit et leur dis, alors qu’elles culpabilisent et n’ont plus d’estime d’elles-mêmes,"regardez comment vous avez su vous protéger et protéger votre enfant" ».

Si l’accueil en gendarmerie et en commissariat fait encore l’objet de critiques, les raisons sont avant tout structurelles. Avec seulement 271 intervenants sociaux dédiés, il y a des trous dans la raquette territoriale, comme à Toulouse, quatrième ville de France, où ils ne sont pas présents en commissariat. Quatre-vingts intervenants supplémentaires ont été annoncés à l’issue du Grenelle contre les violences conjugales en novembre dernier.

Un travail permanent

Laurent Puech, assistant social et chargé de mission à l’Association nationale d’intervention sociale en commissariat et gendarmerie (ANISCG). DR

Ces postes répondent ensuite à des montages financiers particuliers, les intervenants sociaux étant détachés par les collectivités territoriales sur des budgets de l’État. Enfin, l’évolution des pratiques d’accueil ne se fait pas en un claquement de doigts.

« C’est un travail permanent qui prend du temps et s’inscrit sur plusieurs années. En dix ans, l’accueil s’est largement amélioré », souligne Laurent Puech, assistant social et chargé de mission de l’Association nationale d’intervention sociale en commissariat et gendarmerie (ANISCG).

Une cellule spéciale à Pau

Exemple à Pau, où une cellule dédiée aux violences conjugales, composée de quatre agents, a été créée au commissariat en octobre 2018. Un dispositif pour lequel Aurélie Clesse, assistante sociale de l’Association pyrénéenne d'aide aux victimes et de médiation (Apavim) en poste au commissariat, militait depuis plusieurs années.

« Cette cellule permet d’avoir un traitement égal des violences conjugales, de renforcer la cohésion des interventions et notre accompagnement », souligne-t-elle. Elle est également accompagnée depuis septembre 2019 par un psychologue au sein d’un nouveau pôle « psychosocial ». Tous deux travaillent à l’élaboration de formations sur les violences conjugales dédiées à l’ensemble du personnel.

Accueil inconditionnel au 115

Aurélie Clesse, assistance sociale de l'Apavim. DR
Emmanuelle Wagner, responsable pôle familles à l’Ogfa. DR

Dans la chaîne du premier accueil, l’hébergement prend le relais pour la mise en sécurité des femmes. À Pau, l’unique interlocuteur d’Aurélie Clesse pour l’urgence est le service intégré de l’accueil et de l’orientation (SIAO) du département, géré par l’organisme de gestion des foyers amitié (Ogfa). « Depuis cet été, les mises à l’abri de femmes qui se disent victimes de violences conjugales sont immédiates et ne font l’objet d’aucune discussion », décrit Fabien Tuleu, directeur.

Un lieu de vie contenant