Le média social
Réagir
Imprimer
Télécharger

Crise du recrutement : les professionnels étrangers sont-ils la solution ?

Longs FormatsRozenn LE BERRE07 mars 2024
Abonnés

Les fédérations du secteur médico-social sonnent l’alerte depuis plusieurs années : elles manquent de main-d’œuvre pour couvrir les besoins des personnes les plus fragiles, le vieillissement de la population ne faisant qu’aggraver la situation. Dans ce contexte, le recours à des professionnels étrangers peut-il être la solution ?

« La maison brûle, et sans mesure immédiate, un désert médico-social viendra s’ajouter au désert médical » : l’alerte tirée à l’été 2023 provenait de la Fédésap (Fédération des services à la personne et de proximité) et de l’ensemble des fédérations représentatives du secteur de l’aide et de l’accompagnement à domicile. 

Dans un courrier transmis à la Première ministre d’alors, Élisabeth Borne, ces fédérations pointaient un manque de personnel inédit dans le secteur. Avec des conséquences immédiates sur les accompagnements : plus d’un tiers des prestations financées par l’aide personnalisée d'autonomie (APA) et la prestation de compensation handicap (PCH) demeurent non exécutées.

Listes d’attente 

Et la situation va en s’aggravant : 700 000 départs à la retraite seraient prévus d’ici 2030 dans le secteur de l’aide à domicile selon la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem), soit la moitié des employés. Combiné au vieillissement de la population, et donc à l’augmentation des besoins en accompagnement, ce manque de professionnels pourrait avoir des conséquences désastreuses.

Derrière ces chiffres, ce sont des situations de souffrance humaine qui se cachent : des personnes âgées sans soin, des personnes vulnérables en danger. « Nous avons des listes d’attente qui s’allongent… Je ne sais pas comment font les personnes pour se débrouiller », se désole Frédéric Neymon, porte-parole de la Fédésap. 

Système D

« Nous avons une pénurie extrêmement forte de professionnels, qui entraîne un nombre assez important de besoins non pourvus », constate Frédéric Neymon, porte-parole de la Fédésap. DR

« Elles ont recours aux aidants familiaux, au système D, au travail au noir. Ou quand elles n’y parviennent pas, la solitude augmente et conduit à une dégradation de la prise en charge. En bout de course, cela amène les personnes à solliciter l’hôpital, ce qui aurait pu être évité et qui coûte beaucoup plus cher », poursuit le porte-parole.

Dans ce contexte, cela ne fait aucun doute : les métiers de l’aide à domicile, de l’accompagnement aux personnes âgées ou aux personnes en situation de handicap relèvent bien des « métiers en tension », selon l’expression consacrée. Pourtant, ils ne figurent pas toujours dans les listes régionales établissant les métiers concernés.

Des besoins importants

Moins visibles dans l’espace politique et médiatique que les métiers en tension du secteur du BTP ou de la restauration, ils représentent pourtant des centaines de milliers de postes. 

« En parallèle du vieillissement démographique, on compte actuellement 12 millions de personnes vivant avec un handicap et de plus en plus de Français sont contraints de vivre avec une maladie chronique. Ces caractéristiques de la société française appellent donc un besoin de professionnels de santé et du médico-social », pointait le gouvernement lui-même lors d’une campagne de recrutement dans les métiers du soin lancée en 2022.

Une pénurie très forte 

Frédéric Neymon confirme : « Nous avons une pénurie extrêmement forte de professionnels, qui entraîne un nombre assez important de besoins non pourvus, simplement parce que nous n’avons pas les salariés pour le faire. Nous faisons partie des métiers en tension et nous avons donc besoin de chercher des salariés, sur ou hors du territoire. Notre critère n’est pas la couleur de peau ou l’origine, mais un savoir-être, que nous complétons par une formation qui permet d’acquérir des savoir-faire »

Pouvoirs publics et employeurs demeurent donc univoques : la réflexion sur la crise de recrutement dans le secteur ne peut plus attendre. Et une réponse apparaît comme une évidence : l’appel à la main-d’œuvre étrangère.

Une surreprésentation déjà réelle

Les personnes étrangères (nées à l’étranger et vivant en France sans en avoir la nationalité) et immigrées (personnes nées à l’étranger pouvant avoir obtenu la nationalité française) occupent déjà largement ces postes, avec de fortes disparités selon la région et le type de métier occupé.

D’après l’économiste François-Xavier Devetter, les professionnels étrangers du secteur médico-social sont déjà surreprésentés en Île-de-France et dans les métiers les moins valorisés du secteur (lire notre entretien ci-dessous). Malgré cette présence déjà forte de professionnels venus de régions extérieures à l’Union Européenne, le secteur reste en crise de recrutement.

L'espoir (fugace) d'un titre de séjour

Très décriée par ailleurs, la loi immigration prévoyait à l'origine une mesure sur les métiers en tension pouvant susciter l'espoir de travailleurs sans-papiers ou en situation administrative précaire. Anna Margueritat / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Comme dans les autres secteurs en tension, les réflexions autour de la loi immigration ont pu susciter l'intérêt du secteur du sanitaire, social et médico-social, par ailleurs très mobilisé contre la majorité des mesures du texte.

L’article 3 du projet de loi initial prévoyait en effet la délivrance de plein droit de titres de séjour aux étrangers exerçant un « métier en tension », y compris s’ils se trouvaient en situation irrégulière. L’article 4 envisageait quant à lui un meilleur accès au travail pour les demandeurs d’asile, en principe privés de l’accès à l’emploi durant la période d’examen de leur demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). 

De quoi générer de l’espoir parmi les employeurs du secteur, bien à la peine pour recruter, et parmi les travailleurs sans-papiers ou en situation administrative précaire.

Lab Migration : un projet pilote

Ces dispositions initiales suivaient un mouvement déjà amorcé par les employeurs ces dernières années pour favoriser l’accès à l’emploi de personnes étrangères dans le secteur. À la Fepem, le « Lab migration » fait figure de précurseur. Un projet pilote voit le jour à Marseille en 2022, avec l’accueil de 50 personnes migrantes dans un cycle de formation consacré aux métiers de garde d’enfants, d’assistant de vie et d’employé familial.

Cette formation expérimentale se veut axée sur trois piliers : langue française, compétences professionnelles et citoyenneté. L’objectif se révèle donc double : répondre aux besoins de recrutement mais aussi proposer une formation adaptée et vectrice d’intégration professionnelle et citoyenne pour les personnes étrangères. Suite au succès de ce projet pilote, de nouveaux cycles sont prévus, notamment en Île-de-France.

Une formation dédiée