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Article05 octobre 2020
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"Chaque professionnel doit maîtriser les enjeux stratégiques du numérique"

Lors des 40e assises nationales du Cnaemo, l’impact du numérique sur le travail social a été décortiqué sous tous les angles. À l’unanimité, les intervenants ont invité les professionnels à prendre conscience des enjeux du numérique et à se former pour comprendre les usages chez les jeunes et familles accompagnés.

« Qui ici est dans la base de données de la CIA ? », interroge Serge Miranda, directeur du département informatique de l’Université Nice Sofia Antipolis, devant 600 travailleurs sociaux, réunis à Toulouse du 30 septembre au 2 octobre pour les 40e assises du Carrefour national de l'action éducative en milieu ouvert (Cnaemo), mouvement œuvrant dans le champ de la protection de l'enfance.

Peu de mains se lèvent face à cette question plutôt inhabituelle. « Qui ici a une carte SIM ? Un compte Facebook ? Donc vous êtes dans la base de données », poursuit-il. 

Les participants aux 40e assises nationales du Cnaemo Laetitia Delhon

Le décor est planté et les professionnels invités à maîtriser l’emprise croissante du numérique dans leurs espaces personnels et professionnels, emprise qui s’est accélérée pendant le confinement et ne cessera d’augmenter dans les prochaines années.

D’une part, grâce aux innovations techniques exponentielles : si on entend beaucoup parler de la 5G, qui connaît le Lifi (Light Fidelity), ce système de connexion à internet par la lumière amené très prochainement à remplacer le Wifi ? D’autre part, en raison de l’utilisation des technologies à des fins de contrôle de masse, de prédiction et d’injonctions. « Pour la première fois dans l’histoire, des techniques sont amenées à nous dire la vérité et nous appellent à nous y conformer », alerte le philosophe Eric Sadin.

Marketing américain

« Lorsque Bill Clinton en 1996 parlait de fracture numérique, c’était du marketing américain, il était en train de nous annoncer les Gafa », décrypte Pascal Plantard, éducateur et anthropologue des usages numériques. « Ces enjeux stratégiques gigantesques, il convient que chaque professionnel les maîtrise a minima », insiste-t-il.

Car le numérique, à la croisée de l’idéologie et de la technologie, impose son rythme, entraîne des dérives, creuse des fossés. Le « new public management » et sa dématérialisation à marche forcée, encouragée par les décideurs politiques, répond ainsi parfaitement aux attentes des catégories professionnelles élevées, mais laisse de côté tous ceux - ils seraient 13 millions en France selon le Défenseur des droits - qui n’en maîtrisent pas les usages.

Pascal Plantard, éducateur et anthropologue des usages numériques Laetitia Delhon

« Mettre la réflexion avant le réflexe »

Quel impact sur le travail social, comment doivent agir les professionnels face à cette accélération du temps, la logicialisation, l’utilisation des réseaux sociaux, la fragilisation du secret professionnel dans les dossiers partagés, le respect du Règlement général sur la protection des données (RGPD) ? Pour le sociologue Vincent Meyer, qui cite le penseur de la technique Jacques Ellul, il faut avant tout « mettre la réflexion avant le réflexe » car « le temps des clics n’est pas le temps du social ».

Comprendre les usages

Il invite donc les professionnels à penser les usages avec les publics, à garder leur libre arbitre et à développer une conscience professionnelle, notamment face à « notre jumeau numérique qui laisse des traces partout ».

Il s’agit par exemple de porter attention aux éléments rapportés dans les logiciels sur les personnes accompagnées. Faut-il noter l’accès de violence d’un résident d’Ehpad, survenu une seule fois, au risque de l’essentialiser ? « C’est là que se joue la conscience professionnelle, dans la manière de rentrer les données qui privatisent nos espaces de réflexion et nos espaces de travail », poursuit Vincent Meyer.

Autre impératif pour les employeurs : permettre la formation constante des professionnels aux outils numériques. « Il faut former les travailleurs sociaux à comprendre les usages et à autonomiser les publics pour ne pas "faire à la place de" », souligne Pascal Plantard.

Nouvelles expérimentations adolescentes

Se former, c’est ainsi découvrir l’écart entre nos représentations et l’usage des réseaux sociaux par les adolescents, terrain de jeu de leur expérimentation au moment du passage à l’âge adulte. Sur TikTok, Snapchat, Instagram « le regard de l’autre est attendu comme une validation ou une invalidation », souligne Jocelyn Lachance, maître de conférences en socio-anthropologie.

« Les ados bricolent, avec le monde numérique ils disposent de nouveaux objets, très différents des objets matériels qui mettaient du temps à être produits, pouvaient être perdus », indique Yann Leroux, docteur en psychologie clinique, psychanalyste et gamer. Ces usages diffèrent selon l’âge et le sexe : ainsi les jeux en ligne type Fortnite restent l’apanage des garçons, prompts « à une expulsion du féminin parfois avec beaucoup de violence », poursuit-il.

Yann Leroux, docteur en psychologie clinique, psychanalyste et gamer Laetitia Delhon

Des outils contre les dangers du numérique

Dressant la liste des dangers réels du numérique - harcèlement en ligne, pornographie, prostitution, diffusion de sextos (essentiellement par les garçons) - Yann Leroux veut toutefois déconstruire une idée reçue : « les adolescents ont une utilisation très sage de ces mondes-là et sont plus respectueux de la vie privée que leurs aînés ». Leurs espaces numériques sont majoritairement le reflet de leur réseau social réel, « avec les mêmes potes qu’au collège et au lycée ».

Toutefois, face à des jeunes et des familles parfois perdus dans l’utilisation des outils numériques, les travailleurs sociaux peuvent agir. En développant par exemple des ateliers comme au sein de l’association Anras en Haute-Garonne auprès de jeunes filles accompagnées. Dialogue, prise de recul : ces séances ont permis d’aborder « leur rapport au corps, la confiance en soi, l’estime de soi et les traces qu’elles laissent dans les Big Data », relève Morgane Quilliou-Rioual, éducatrice spécialisée et formatrice en numérique dans les ESSMS.

Nombreuses possibilités

Parmi les autres outils : les Promeneurs du net, dispositif de prévention éducative numérique, l’utilisation du jeu vidéo en médiation voire la création de jeux vidéo et de podcasts avec les jeunes grâce à des logiciels libres. « Avec le numérique, il y a des tas de choses à faire avec peu de moyens », souligne Pierre Khattou, formateur auprès des Promeneurs du net en Haute-Garonne.

Afin de donner des repères aux travailleurs sociaux, Didier Dubasque, assistant social, rappelle l’existence des fiches pratiques créées par la commission « Travail social et Numérique » du Haut conseil du travail social (HCTS), dont il est membre. « Et allez sur le site de la Cnil, il est extrêmement pédagogique ! » ajoute-t-il.

Faire appel à l’éthique

Très applaudi, Eric Sadin appelle enfin les professionnels à réagir face aux assauts des géants du numérique dans le domaine de la santé - les données médicales se vendent à prix d’or sur le Dark Web - ou de l’éducation, et à retrouver « le pouvoir de dire non que nous avons probablement délaissé ». Un écho à ce que Didier Dubasque appelle « le propre du travail social : la réflexion avant l’action, la mesure » qui doivent amener les professionnels à « avancer de façon prudentielle sur ces questions en fonction de principes éthiques ».

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