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Article16 novembre 2023
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À la Réunion, les CCAS d'Outre-mer lancent un cri d'alerte

À l'initiative de l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas), environ 300 élus ou dirigeants issus de six territoires ultramarins sont rassemblés pendant trois jours à La Réunion pour échanger et faire des propositions. Au centre des discussions, une situation sociale très dégradée et une forte pauvreté.

« La rencontre des trois océans et de l'hexagone ». Cette formule poétique d'Ericka Bareigts, la maire de Saint-Denis, résume l'originalité de ce grand rassemblement, dans la capitale de La Réunion, des centres communaux d'action sociale (CCAS) de six territoires : La Réunion et Mayotte (océan Indien), la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe (océan Atlantique) et la Nouvelle-Calédonie (océan Pacifique).

Des élus ont également fait le déplacement depuis Paris, pour assister à ces rencontres des solidarités des Outre-mer, lancées par l'Union nationale des centres communaux d'action sociale (Unccas), le 14 novembre.

Priorité sur l'Outre-mer

Tout est parti fin 2020 d'une volonté exprimée par le nouveau bureau de l'Unccas, réuni autour de son président Luc Carvounas. « Nous avons fait de la situation dans les Outre-mer la priorité de ce mandat », explique le maire d'Alfortville (94), qui raconte le choc ressenti en découvrant des réalités ultramarines qu'il n'imaginait pas.

Grâce à une forte mobilisation de tout le réseau, 300 personnes sont rassemblées à Saint-Denis de La Réunion pendant trois jours. Certains, en provenance de Nouvelle-Calédonie, ont même fait 36 heures de voyage pour être là.

Grande pauvreté

Le préfet de La Réunion a eu beau arguer que la situation du chômage s'était améliorée, tous les indicateurs sont au rouge dans cette île qui accueille près de 900 000 habitants (sur trois millions d'ultramarins).

La maire de Saint-Denis a décrit une situation très inquiétante. « À la Réunion, 36 % des habitants sont sous le seuil de pauvreté. 105 000 mineurs vivent dans des ménages pauvres. »

Et plus généralement, dans les autres territoires, les réalités sont encore plus dures. L'ancienne ministre des Outre-mer (sous François Hollande), très remontée – dont le discours a été ovationné – a raconté qu'en 2018, une personne sur cinq en situation de grande pauvreté vivait dans les Outre-mer (alors que celles-ci ne représentent que 3 % de la population nationale).

Vieillissement accéléré

Les défis sont colossaux, a énuméré la maire de Saint-Denis : illettrisme, santé, isolement et éloignement des services publics (par exemple dans l'ouest de la Guyane), pauvreté, notamment des retraités agricoles ou des ouvriers pendant longtemps non déclarés… La question du vieillissement est centrale dans de nombreux territoires.

« La transition démographique est déjà faite en Martinique et Guadeloupe, a-t-elle expliqué. Dans cette première île, la proportion de plus de 70 ans est supérieure à celle des moins de 15 ans. Cette transition démographique atteint maintenant La Réunion et, bientôt, ce sera la Guyane. »

Un peu partout, et surtout aux Antilles, l'exode des jeunes est un vrai casse-tête. Certains emplois ne sont pas pourvus, notamment faute de qualification de ceux qui restent. Et le modèle ultramarin de prise en charge des anciens par la famille est fragilisé.

Un piège pour les élus

Attention, a prévenu Ericka Bareigts, « la solidarité familiale ne doit pas être un alibi pour ne pas prendre en charge les malades Alzheimer. Il nous faut des budgets pour créer des établissements adaptés. » Les élus ultramarins refusent le piège qui leur est tendu.

Au nom du principe de différenciation qui paraît une évidence à 9 000 km de la métropole, il n'est pas question d'abandonner l'objectif de rattrapage du retard dans les territoires ultramarins. « Ne soyons pas timides dans nos revendications », a exhorté le président de l'union départementale des CCAS (UDCCAS) de La Réunion, Bruno Domen.

Promesses non tenues

L'État a été fortement mis en question par les intervenants. L'instabilité des portefeuilles ministériels (cinq depuis 2017) est fortement critiquée. L'actuel ministre délégué chargé des Outre-mer, Philippe Vigier, pourtant invité par l'Unccas, n'a pas jugé bon de se déplacer à La Réunion.

La propension à vouloir tout décider de Paris est aussi vivement attaquée. « Pendant trop longtemps, a déploré Luc Carvounas, on a voulu gérer les problèmes sociaux d'ici avec les tableurs de Bercy. »

Et souvent, les promesses ne sont pas tenues. Les élus de Guyane racontent à l'envi que, suite à une mobilisation citoyenne en 2017, l'État s'était engagé sur un plan d'urgence de 1,4 milliard d'euros. « Et bien, se désole la présidente (UDCCAS), Francesca Alix, seuls 30 % des crédits ont été débloqués. » Un Guyanais a déclaré craindre que la prochaine crise sociale ne débouche sur de la violence, alors que le territoire l'a jusqu'ici évitée. D'autant que deux tiers des jeunes y sont armés.

Jeunes sacrifiés

Tout le monde a noté qu'un sentiment d'abandon se développait. Les jeunes mal formés, isolés, sont parfois plus tentés de « faire la mule » (transporter de la drogue) que de prendre des boulots mal payés.

Une élue de Guadeloupe s'est indignée que les entreprises locales ne permettent pas aux jeunes formés de progresser, les places d'encadrement étant souvent réservées aux « békés » (blancs descendants des colons). Le sentiment d'un néocolonialisme persistant affleure ici ou là. Certains jettent l'éponge et s'exilent notamment au Canada.

Crise de l'eau à Mayotte

Il a également été question de la situation catastrophique de Mayotte à 1 500 km de La Réunion. Depuis plusieurs semaines, alors que l'opération de destruction de certains bidonvilles est loin d'être terminée, la crise de l'eau touche durement la population, déjà fragilisée par la pauvreté et une immigration non contrôlée.

Les CCAS sont chargés de distribuer des packs d'eau, acheminés par l'État, aux 60 000 personnes les plus vulnérables. Mais ils se sentent abandonnés.

« Les 300 agents environ (des 17 CCAS), prévient le président de l'UDCCAS, Saïd Salif, ne pourront pas distribuer de l'eau à toute la population [estimée à 310 000 personnes, contre 220 000 en 2014] ». Et plus généralement, alerte-t-il, « si on ne s'occupe pas des jeunes, ils vont se rebeller. »

NoëlBOUTTIER (envoyé spécial à La Réunion)
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