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Tribune libre26 avril 2021
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Comment favoriser l'innovation dans les structures sociales et médico-sociales ?

La crise sanitaire a donné à certains organismes gestionnaires des marges de manœuvre nouvelles. Dans une tribune libre*, Christophe Douesneau, directeur général de l'association Vivre et devenir, invite à valoriser cette culture de l'innovation dans le champ social et médico-social.

Pour tendre vers plus d’inclusion, poursuivre la tendance à la scolarisation ou améliorer l’accès aux droits, l'évolution des modes d’accompagnement dans le secteur social et médico-social doit s’appuyer sur l’expertise et le savoir-faire des professionnels qui œuvrent chaque jour auprès des personnes. Pour cela, la valorisation des actions innovantes peut être un levier.

Un manque d’intérêt à agir

On sait pourtant que l’innovation se heurte d’emblée à deux freins majeurs : d’une part, le manque d’intérêt à agir, et d’autre part, une tendance à se retrancher derrière une réglementation lue de manière restrictive.

Pour le manque d’intérêt à agir, les projets de reconversion du secteur de la psychiatrie vers le secteur médico-social constituent un exemple emblématique. À cet égard, la publication de l’Anap « l’accompagnement médico-social des personnes adultes handicapées psychiques ; retours d’expérience de reconversion ou de créations » le montre clairement : les besoins sont criants avec des personnes qui restent prises en charge au long cours, parfois sur plusieurs dizaines d’années, par la psychiatrie alors qu’un accompagnement médico-social au sein d’une MAS ou d’un FAM serait beaucoup plus adapté et moins chers. Oui mais… la reconversion suppose :

  • Une transformation des pratiques des professionnels ;
  • Une baisse des moyens pour la direction (50 places en psychiatrie sont mieux « rémunérées » que 50 places en MAS) ;
  • La constitution d’un dossier de reconversion pour transférer des crédits de l’Ondam sanitaire vers l’Ondam médico-social de plusieurs dizaines de kilo avec une validation au plus haut niveau ministériel.

Dans ces conditions, pourquoi s’engager dans un processus jonché de très nombreux obstacles sans intérêt à agir… sauf le bien-être des personnes ?

Un retranchement derrière la réglementation

Pour la tendance à se retrancher derrière une réglementation lue de manière restrictive, il est possible de s’appuyer sur l’exemple de la tension entre liberté et sécurité. Le guide de bonnes pratiques élaboré par APF France handicap, « le droit des usagers au risque des enjeux de sécurité ; liberté et prise de risque des usagers », vient étayer ce point.

La liberté de se déplacer, les comportements problème, les horaires d’ouverture des établissements, la consommation de produits addictifs… sont plus aisés à gérer en arguant de la contrainte liée à la sécurité qu’avec une réflexion pluridisciplinaire impliquant un risque mais mettant en premier le droit de la personne. La tentation est forte de rechercher le texte qui « autorise à » plutôt que de « s’autoriser à » car il n’existe pas de texte qui interdit explicitement.

Une fois nommées ces contraintes qui ne sont qu’une déclinaison de la recherche d’équilibre entre l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité chères à Max Weber, il convient de revenir sur la définition même de l'innovation pour voir comment il est possible de la faire vivre au sein de nos organisations.

Une définition de l'innovation

Selon Arnaud Groff, « l’innovation est une démarche structurée autour d’un processus ‘agile’ qui doit permettre de répondre de manière créative (nouvelle dans le domaine visé) à un besoin identifié, en créant de la valeur et en s’assurant de son appropriation par ses destinataires ».

Cette définition met en exergue quatre critères : 

La réponse à un besoin : les feux tricolores par exemple ont répondu lors de leur création à un besoin de sécurité pour les piétons ; le smartphone à un besoin de communication et d’échanges rapides d’informations, etc.

La créativité : l’innovation s’appuie sur du « nouveau ». Notons que l’innovation n’est pas nécessairement technologique. Elle peut concerner des produits, des processus, des services, des technologies, des idées… 

La création de valeur : dans le domaine marchand, il s’agit en général d’une création de richesse. Les réseaux sociaux, qui sont un exemple emblématique d’innovation par leur impact sur les pratiques, sont créateurs de valeurs en particulier avec les revenus publicitaires. Mais il peut aussi s’agir d’une valeur d’estime comme le fait de produire en France qui va donner un avantage concurrentiel à un produit.

L’appropriation par les destinataires : pour cette appropriation, elle est essentielle et rejoint la diffusion. Le feu tricolore n’a aucun impact sur la sécurité s’il n’est pas respecté. Le plus beau des smartphone ou réseau social est réduit au simple concept d’invention, sans atteindre le graal de l’innovation, s’il n’est utilisé que par une seule personne.

Des exemples dans le secteur

Plusieurs exemples dans le secteur de l’accompagnement des personnes fragiles peuvent illustrer ces quatre critères de définition.

L’emploi accompagné répond à un besoin d’insertion professionnelle des personnes, avec une méthode d’accompagnement nouvelle au plus près de la personne et dans l’entreprise par des chargés d’insertion professionnelle. Celui-ci crée de la valeur pour la personne qui trouve un emploi. La dynamique initiée par Iris messidor pour diffuser le modèle de l’emploi accompagné contribue à son appropriation.

L’expérimentation pour élaborer le projet individuel de l’enfant selon des nouvelles modalités au sein de l’IME Marie-Auxiliatrice répond également à l’attente des jeunes et familles d’être placés sur un pied d’égalité avec les professionnels. Celle-ci s’appuie sur une démarche nouvelle avec, d’une part, la formation des parties prenantes (jeune, familles, professionnels) à la prise de parole en public au même titre que les autres acteurs et, d’autre part, la formalisation du projet en une seule réunion de travail collective. L’objectif est de créer de la valeur de manière indirecte en libérant du temps de travail des professionnels et en améliorant la qualité et l’appropriation du projet individuel. Son appropriation doit passer par une mise en œuvre pour l’ensemble des projets d’accompagnement des enfants accompagnés par l’établissement.

L’enjeu premier : l’observation

Que nous apportent ces exemples pour enrichir nos organisations sociales et médico-sociales qui n’ont pas vocation à recruter des ingénieurs ou créer de la valeur monétisable ? Ils nous montrent l’importance d’observer, d’écouter et de valoriser

Pour nos organisations mobilisées auprès des personnes les plus fragiles, il apparaît essentiel d’observer les pratiques développées au sein des établissements et services ainsi que par les proches, familles et personnes elles-mêmes.

C’est en visitant un établissement médico-social que nous avons pu observer une application développée sur smartphone par un professionnel permettant aux jeunes accompagnés de signaler leurs besoins d’accompagnement en aides humaines du lendemain, selon l’évolution de leurs plannings de cours, et d’ajuster ainsi directement les plannings des professionnels. Depuis, cette application a été récompensée par un trophée innovation de la Fehap.

Communiquer sur ces pratiques innovantes

Et c’est là l’autre corollaire de l’observation, la diffusion. La Fehap, Vivre et devenir, APF France handicap… ont mis en place des dynamiques permettant de repérer, documenter, valoriser et communiquer sur ces pratiques innovantes. Car faute d’un marché potentiel et de gains monétisables permettant d’assurer la diffusion d’une pratique innovante, le secteur social et médico-social bute sur sa capacité à s’approprier de telles nouveautés.

Les enseignements pour nos organisations

Cette approche de l’innovation permet de tirer trois enseignements pour les organismes gestionnaires mobilisés auprès des plus fragiles :

Premier enseignement, l’observation doit être un axe premier des modes de management. Il convient d’être en mesure de repérer et de valoriser les innovations du « quotidien ». Les organisations doivent être pensées pour cela. Il peut s’agir par exemple d’un professionnel / groupe de professionnels chargés de se déplacer au plus près des pratiques puis de documenter les plus intéressantes. Indirectement, cela suppose de « faire fi » en partie des intermédiaires, voir de la ligne hiérarchique.

Deuxième enseignement, la diffusion doit être assurée pour les pratiques les plus inspirantes. Il peut s’agir, comme le fait Vivre et devenir chaque année, d’un prix accordé aux projets les plus innovants. Au-delà de la communication pour inspirer les autres professionnels et du prix en monnaie sonnante et trébuchante pour le projet lui-même, il est surtout question d’entretenir l’esprit d’initiative.

Troisième enseignement, le mode de management, et donc le besoin de financement de ces projets innovants, doivent être intégrés au projet managérial des établissements et services. Aucun projet ne pourra aboutir si aucune latitude n’est laissée aux équipes pour tester, essayer. La culture de l’échec, la prise de risque et la confiance doivent être intégrées.

La crise a permis de développer des pratiques nouvelles

Les CPOM sont déployés pour la quasi-totalité des établissements accompagnant des personnes âgées. Ils le seront prochainement dans le champ du handicap. La crise sanitaire a permis de développer des pratiques nouvelles, voire de donner à certains organismes gestionnaires des marges de manœuvre financières. Le terreau est donc plus que favorable à l’innovation pour des personnes fragiles et des proches en attentes de nouveautés pour une vraie démarche d’inclusion.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

ChristopheDouesneau
Directeur général de l'association Vivre et devenir
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