menuMENU
search

Le Media Social - A chaque acteur du social son actualité

Tribune libre29 juin 2021
Réagir
Réagir
Imprimer
Télécharger

Qu’est-ce qui empêche les managers du médico-social de soutenir leurs collaborateurs ?

Les injonctions à la performance dans le secteur médico-social engendrent des conflits de valeurs chez de nombreux salariés. Dans une tribune libre*, Khaled Sabouné, maître de conférences en management à Aix-Marseille Université, rappelle combien il est essentiel de soutenir les managers de proximité dans leurs difficiles missions.

Les établissements médico-sociaux subissent depuis une vingtaine d’années des restructurations et appliquent de nouvelles pratiques managériales pour se conformer aux exigences des pouvoirs publics.

Ces derniers tentent via une série de lois (loi n° 2002-2 rénovant l’action sociale et médico-sociale par exemple) de moderniser la gestion des structures médico-sociales afin d’améliorer leur performance. Toutefois, les réformes de ce secteur s’avèrent guidées par une quête d’efficience et s’inscrivent dans une volonté de passer d’une gestion par les moyens à une gestion par les résultats.

Crises identitaires des établissements médico-sociaux

Ainsi, les instruments de quantification comptable et financière sont au cœur de ces réformes. Perçues comme des remises en cause des actions sociales et solidaires, ces réformes conduisent à des crises identitaires des établissements médico-sociaux. Les valeurs et les motivations spécifiques des salariés de ce secteur entrent alors en opposition avec les logiques économiques dominantes des réformes actuelles.

En effet, les organisations médico-sociales constituaient auparavant un lieu d’actions sociales et de solidarité et leur gestion se basait sur la relation humaine et la qualité du service rendu aux usagers. Les transformations du secteur engendrent donc des tensions de rôle et des conflits de valeurs chez de nombreux salariés. Elles ont par ailleurs entraîné une intensification de la charge de travail des salariés opérationnels et de leurs managers. Les effets des réformes du secteur s’avèrent alors « pathogènes » pour la santé au travail des aidants.

Dégradation de la relation managériale

Dans ce contexte, les liens qui unissent les salariés du secteur aux établissements s’altèrent (démotivation, absentéisme et turnover…) et la relation managériale (salarié-supérieur hiérarchique) se dégrade. En effet, les équipes opérationnelles (éducateurs spécialisés, aides-soignants…) pour faire face à un environnement de travail de plus en plus contraignant, sollicitent souvent le soutien social de leurs managers.

Ce dernier se définit comme « l’aide effective apportée à un individu par son entourage » (Winnubst et al., 1988 [1]). La notion de « soutien social » est communément employée pour « rendre compte du processus par lequel les relations sociales ont un effet bénéfique sur la santé et le bien-être » (Caron, Guay, 2005 [2]).

Besoins de soutien social

Nous constatons toutefois que les professionnels du secteur médico-social expriment envers leurs supérieurs hiérarchiques quatre types de besoins de soutien social : émotionnel, informatif, matériel et d’estime.

Soutien émotionnel

Le soutien émotionnel s’exprime dans les moments de face-à-face. Il consiste à exprimer des émotions et à obtenir du feedback constructif et rassurant. Le soutien émotionnel constitue une des ressources majeures aidant les salariés opérationnels à faire face à la souffrance au travail dans la mesure où il joue un rôle médiateur entre les exigences du travail et le bien-être de l’aidant.

Ainsi, pour atténuer les effets des conditions de travail nocives, le manager devrait donner à son collaborateur la possibilité d’exprimer ses problèmes et ses angoisses au travail, l’écouter, tenter de réduire l’importance qu’il accorde aux évènements stressants et lui proposer des solutions à ses problèmes.

Soutien informatif

Le soutien informatif du manager facilite l’obtention d’informations relatives aux valeurs et à la culture organisationnelle de l’établissement, aux attentes de rôle et aux tâches à réaliser. Il peut également s’agir d’un échange d’idées et d’informations sur des situations et des objectifs que le manager et le salarié poursuivent réciproquement, ce qui leur permet de construire une vision commune.

Soutien matériel

Le soutien matériel du manager implique une aide concrète en termes de biens et de services. Il peut s’agir des ressources matérielles et financières octroyées à l’aidant pour pouvoir remplir ses obligations envers l’organisation et les usagers.

Soutien d'estime

Le soutien d’estime du manager consiste à rassurer le salarié en ce qui concerne ses compétences et à valoriser ses contributions. Cela conduirait l’aidant à croire qu’il est apprécié, valorisé et soutenu émotionnellement dans des périodes de démotivation ou de manque de confiance en soi.

Gestion normative et économique

Les modes de gestion et de communication interne adoptés par les managers s’avèrent donc déterminants de la qualité de la relation managériale, de la motivation et de la santé au travail des salariés opérationnels du secteur médico-social. Toutefois, de nombreux managers de ce secteur adoptent une gestion normative et économique afin de répondre aux exigences de leurs supérieurs hiérarchiques et de se conformer aux directives des autorités de tutelle.

Stratégie de réduction des dépenses

Leur gestion se repose sur une stratégie de réduction de dépenses et un arsenal d’outils d’évaluation perçus par les aidants comme « outils de contrôle et de surveillance ». Les managers se concentrent de ce fait sur la réalisation des activités administratives et financières au détriment de l’animation de leurs équipes. La communication avec ces dernières s’avère très souvent descendante via des notes de service ou des réunions. Les interactions et les échanges sur le travail se font très rares.

Modes de communication formels

Les équipes opérationnelles admettent qu’il faut « faire attention aux dépenses » pour garantir la pérennité financière de leurs structures, mais elles déclinent le mode de gestion fondé sur une logique purement économique et parfois « marchande ». Elles réclament un mode de fonctionnement collaboratif au service de l’usager.

Ces équipes contestent également les modes de communication formels de leurs managers qui instrumentalisent le dialogue et les empêchent de s’exprimer sur leur travail et mieux comprendre le fonctionnement de leurs structures.

Les facteurs de blocage

Des salariés opérationnels remettent donc en cause la légitimité fonctionnelle de leurs managers et adoptent par conséquent des comportements de retrait (absentéisme…). Plusieurs facteurs peuvent cependant expliquer les difficultés des managers du secteur médico-social à mettre en place un management plus « humain » qui privilégie la proximité dans la relation et qui propose de soutien social :

  • le manque de formation au management des relations humaines et à l’organisation du travail ;
  • les critères de recrutement des managers reposent principalement sur leur expertise technique ou leur ancienneté et négligent leurs qualités relationnelles ;
  • la tension entre les deux principaux rôles du manager que sont la gestion des activités administratives et l’animation des équipes. L’augmentation de la charge de travail administratif des managers du secteur les prive souvent de communiquer avec leurs collaborateurs ;
  • certains managers ne détiennent que peu de pouvoir sur des situations qui nécessitent des moyens financiers et des compétences managériales et relationnelles (écoute, empathie…) qu’ils ne possèdent pas. La confrontation avec les équipes risque alors de les déstabiliser ;
  • l’absence de la phase d’intégration de nouveaux managers dans certaines structures, jugée nécessaire pour comprendre l’histoire et le fonctionnement de l’établissement et mieux connaître les équipes, leurs besoins et leurs valeurs. Dès leur arrivée en établissement, de nombreux managers sont amenés immédiatement à gérer des activités administratives sans parvenir à se présenter et à exposer leurs stratégies et leurs attentes envers les équipes opérationnelles ;
  • le manque d’autonomie pour réorganiser le travail et créer des espaces de discussion et de dialogue sur les pratiques professionnelles et le quotidien des salariés opérationnels. Les managers sont en effet contraints de respecter les directives des autorités de tutelle relatives à la gestion d’établissement et les stratégies définies par leurs supérieurs hiérarchiques ;
  • la faible connaissance des activités et du travail réalisé par les salariés opérationnels.

Mettre l'accent sur la performance sociale des établissements

Cette liste de facteurs, qui est loin d’être exhaustive, montre combien le soutien des autorités de tutelle et du top management aux managers de proximité du secteur médico-social est essentiel. Ces acteurs sont invités à mettre l’accent sur la performance sociale des établissements et non seulement sur la performance économique.

Ils pourraient surtout rendre le fonctionnement des structures moins mécaniste (moins de procédures et de normes) et plus agile (management situationnel), alléger le travail administratif des managers et leur donner plus d’autonomie dans la définition et l’organisation de leurs propres activités, leur octroyer plus de moyens afin d’assurer leurs missions dans de bonnes conditions.

Favoriser le développement des compétences cognitives

Par ailleurs, nous invitons les centres de formation et les universités à mettre en place des pédagogies favorisant le développement des compétences cognitives (esprit d’analyse…), de la confiance en soi et des qualités relationnelles (communication…) de futurs managers du secteur afin que ces derniers puissent analyser et donner plus de sens aux transformations du secteur et mettre en place une organisation du travail au service de l’humain dans un secteur qui revendique des valeurs de solidarité et où la relation humaine constitue l’essence de l’action.

[1] Winnubst J.A.M. et al. (1988), “Social support and stress : Perspectives and processes”, in Fisher S., Reason J. (éds.), Handbook of life stress, cognition and health, p. 511-528, Chichester, England : Wiley.

[2] Caron J., Guay S. (2005), « Soutien social et santé mentale : concept, mesures, recherches récentes et implications pour les cliniciens », Revue Santé Mentale au Québec, Vol. 30, nº 2, p. 15-41.

* Les tribunes libres sont rédigées sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction du Media Social.

→ À lire également : L’expérience de la crise invite à assouplir le fonctionnement bureaucratique des établissements [Interview de Khaled Sabouné]

KhaledSabouné
Maître de conférences, responsable pédagogique du Master "Management des établissements sanitaires et sociaux" de l’IMPGT d'Aix-Marseille Université
ABONNEMENT
Accédez à l'intégralité de nos contenus
  • Articles & brèves
  • Vidéos & infographies
  • Longs formats & dossiers juridiques
  • Reportages & enquêtes
Découvrez nos offres